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mélancolique de l’esprit. Et je ne connais point de pays où la force des coutumes et la discipline de la sensibilité donnent aux grandes démonstrations publiques une pareille unité d’impression. Acteurs et spectateurs, tous y concourent. À dire vrai, il n’y a que des acteurs. Ceux qui conduisaient le deuil n’étaient pas plus impeccables que ceux qui le regardaient passer. La foule jouait son rôle aussi parfaitement que les princes, les soldats, les prêtres, les fiers campagnards de Yasé et les nobles piqueurs de bœufs.

Mais c’était précisément cette unité que naguère on avait pu croire en péril. On craignait que les idées égalitaires introduites au Japon y eussent leur effet immanquable de dissocier la communauté japonaise : et elle m’avait paru plus solide que jamais. On redoutait pour la société et pour les âmes le conflit prolongé des deux civilisations. Mais, quand on avait assisté jadis aux tâtonnemens de la vieille culture japonaise et à sa démarche incertaine d’Asiatique éblouie à travers les innovations occidentales, on commençait à soupçonner, devant ces funérailles, qu’elle avait enfin trouvé son équilibre. Les élémens d’origine étrangère s’y accordaient harmonieusement aux rites de l’ancien, du plus ancien Japon. Ceux-là n’y paraissaient pas plus des importations que ceux-ci des archaïsmes. On prétendait que ce conflit émousserait sans doute la délicatesse esthétique du peuple japonais, inséparable de sa délicatesse morale : et elle s’était marquée non seulement dans tous les détails de cette cérémonie funèbre, mais dans l’attitude de la foule. Il nous semblait naguère que le culte de l’Empereur pâlissait, et d’aucune Impératrice le dernier sommeil n’avait été entouré d’une piété plus vive. Sur cette terre, où depuis douze cents ans le bouddhisme a régné, rien dans ces funérailles n’était emprunté à ses rites. La seule religion qui participait aux honneurs rendus à la dépouille impériale était celle dont il avait autrefois étouffé la voix grêle et recouvert la simplicité sous sa liturgie somptueuse. C’était le shintoïsme qui nationalise le Soleil, qui attribue à l’Empereur une origine céleste et qui fait graviter toutes les autres nations autour de la nation japonaise, fille des dieux ; le shintoïsme, la plus ancienne des religions du Japon, la plus ; orgueilleuse des religions nationales, aussi démesurée et aussi fantastique dans sa mythologie que sobre et naturelle dans son symbolisme.