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nais. Devant ces deux cadavres, il revivait dix siècles de son histoire. Un témoin me racontait que, plusieurs étrangers s’étant écriés, dans un cercle japonais, que le maréchal était stupide ou fou, les Japonais ne s’en étaient point montrés froissés, et qu’ils avaient seulement souri. Ils ont le même sourire quand, au fond d’un temple, ils vous ouvrent avec précaution une boîte qui en contient une autre qui en contient une troisième et qu’ils tirent, emmaillotée dans des linges de safran, une coupe en terre rugueuse et craquelée, d’apparence grossière ; vous vous attendiez à un trésor et ils vous voient déçus : ils sourient alors et replacent dans sa boîte cette coupe dont le modelé remplit exactement leurs deux mains et qu’ils ont un instant tournée entre leurs doigts pour en admirer les bords légèrement onduleux. La mort de Nogi rentrait dans la catégorie des biens spirituels et sacrés dont se compose leur patrimoine national et que, par impuissance à en juger la valeur, les étrangers ne peuvent même pas leur envier.

Il faut cependant essayer de comprendre cet homme que le peuple appelle le dernier Samuraï. De son histoire que l’on m’a contée et que l’on m’a lue, je retiens seulement quelques épisodes, quelques images, mais qui la résument toute. Elle est un des témoignages les plus curieux de l’ancien Japon d’hier au confluent du Japon moderne.

Vers 1857, le 5 et le 16 de chaque mois, avant l’aube, on aurait pu voir sortir d’une maisonnette de Tokyo, très proche de la maison seigneuriale du prince Mori, un homme d’armes, accompagné d’un petit garçon d’environ huit ans. Ce Samuraï, précepteur du jeune prince, se nommait Nogi, et le petit garçon était son fils. Ses fonctions lui commandaient d’aller deux fois par mois saluer le tombeau de la famille princière au temple fort éloigné de Sengakuji. Pour l’enfant débile et nerveux, ces sorties matinales étaient à la fois un plaisir grave et un objet de terreur. On risquait toujours, dans le crépuscule, de buter contre un cadavre ou de faire rouler une tête sous son pied. Il existait encore en ce temps-là une coutume, qui ne fut abolie qu’en 1868 : le Tameshigiri ou Essai du sabre. Le Samuraï, possesseur d’un sabre neuf, se postait au coin d’une rue, la nuit, et en éprouvait le tranchant sur le premier venu qui passait sans escorte.

Mais quand, au jour levant, on arrivait au temple, le petit