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les plus raffinées de la modestie et du désintéressement. Il y a assurément dans le suicide de Nogi, comme dans presque tous les suicides samuraïques, et dans la manière dont il le prépara, et dans le choix de l’heure où il l’accomplit, et dans l’appel du photographe, quelque chose d’ostentatoire qui nous semble, à nous Européens, exclure l’idée d’une douleur irrésistible. Mais cette ostentation un peu théâtrale n’en est pas une pour les Japonais, qui n’y voient que de la décence et de la noblesse et qui, depuis des siècles, attachent au suicide ainsi compris un caractère de grandeur aristocratique et même d’obligation religieuse. La mort de l’Empereur fut moins la cause que l’occasion du harakiri de Nogi. Une de ses lettres écrites avant de mourir rappelait l’épisode de la guerre civile où il avait perdu le drapeau de son régiment. « De ce jour, disait-il, j’ai cherché la mort sans la rencontrer, et j’ai continué de vivre et de jouir des faveurs impériales imméritées. » Je n’ose pas dire qu’en se coupant les entrailles selon l’ancien rite, il réalisait un rêve de sa jeunesse, mais il en payait une malchance dont rien dans son âme n’avait recouvert le souvenir. Seulement, il la payait comme un homme qui, ayant engagé toute sa fortune lorsqu’elle était insignifiante, la verserait, une fois millionnaire, à son créancier. Il jetait dans la fosse ouverte non plus l’obscure destinée d’un jeune officier que le hasard a desservi, mais toutes les décorations, tous les honneurs, tout le prestige, toute la gloire d’un maréchal victorieux. Il ne pouvait pas ne pas en avoir conscience. Sa plus vive jouissance d’amour-propre, cette volupté d’orgueil que ses victoires lui avaient refusée, il l’a peut-être ressentie dans la petite chambre où il attendait le signal du canon funèbre, lorsqu’il se représentait l’étonnement du peuple à la nouvelle de sa mort, les millions d’êtres qui en frémiraient d’émotion, et la place que son suicide lui assurait dans l’immortalité impériale.

Beaucoup d’Européens jugèrent son acte insensé. Un certain nombre d’intellectuels japonais, qui eurent bien soin de se taire, l’estimèrent d’un archaïsme regrettable. Nul ne pensa qu’il eût voulu faire de sa mort une protestation contre les nouveautés où risquait de sombrer l’esprit de sacrifice des anciens Samuraï. On ne lui prêta aucune intention philosophique. Mais la portée de nos actes les plus graves ne se limite point à notre personne. Et le suicide du maréchal Nogi, qui semble exhumé des vieilles