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Dès 1901, les conférences et les livres la propagèrent à travers le pays. Ce fut une sorte de préparation mystique à la guerre. On l’illustrait par des exemples tirés de la légende ou de l’histoire et habilement dénaturés. Le dévouement féodal au prince se convertissait en dévouement à l’empereur. Toutes les images de vengeances, de suicides, de meurtres héroïques, d’abnégations sublimes, qui défraient le théâtre populaire, repassaient sous les yeux du peuple, non plus comme un divertissement, mais comme un sujet d’édification. L’effet en fut admirable. À Port-Arthur, un régiment refusait de marcher ; on lui lut un rescrit impérial : il se rua à la mort. Le Bushido électrisait les troupes. Plutôt que de se rendre, tous les soldats d’un transport, le Hitachi-Maru, surpris par l’ennemi, s’ouvrirent le ventre en criant le nom de l’empereur. Ce fut sur les vertus de l’empereur et de ses divins ancêtres que l’orl reporta l’honneur des grandes victoires. À chaque nouveau succès, un envoyé impérial partait pour le temple d’Isé et déposait devant l’autel de la déesse du Soleil les hommages reconnaissans de son petit-fils. Comme naguère les canons pris aux Chinois, les canons pris aux Russes furent répartis dans les temples shintoïstes. Jamais tant de gloire n’avait rejailli sur leur toit de chaume. Au temple de Yasukumi, à Tokyo, ou Temple de l’Invocation des âmes, élevé en 1869 pour les défenseurs de la cause impériale, le gouvernement fit célébrer des cérémonies émouvantes en l’honneur des soldats tombés à l’ennemi. On allumait, dans ses beaux jardins de pruniers et de cerisiers, des feux qui ne mouraient qu’au lever du jour, car les âmes des braves descendent du ciel avec les ombres de la nuit. On leur offrait des tables de bois blanc, chargées de gâteaux, de poissons et d’herbes. Le prêtre chantait sa longue mélopée, puis il prenait sur l’autel la pierre précieuse où étaient venues se poser les âmes, et allait l’enfermer dans un tabernacle que les fidèles adoraient.

Loin de se ralentir, le mouvement s’accentua au lendemain de la guerre. Le traité de paix avait été pour le peuple une déception cruelle, et, bien qu’il n’en accusât que ses diplomates, on jugea plus nécessaire que jamais d’entretenir en lui cette religion du Bushido, qui interdit aux mécontentemens de franchir le cercle des ministres et des conseillers du Trône et de s’élever jusqu’à l’empereur. On l’intronisa dans les écoles