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augmentée soit-elle de recrues récentes par la libéralité fiscale des chancelleries étrangères qui improvisent des titres, argent comptant, et par l’initiative des autodidactes qui s’anoblissaient à meilleur compte, de leur propre chef, cette classe ne compte point par le nombre. Et bien que demeurée le plus semblable à elle-même, ce n’est pas davantage à elle qu’appartient l’influence. La passivité de la masse attend d’ailleurs la pensée et l’impulsion.

La puissance d’initiative appartient à la classe moyenne. La bourgeoisie se recrute de ceux qui prétendent améliorer leur sort. Des bas-fonds du prolétariat, jusqu’aux sommets du pouvoir, et de la richesse, elle est l’armée de ceux qui montent. L’ascension même rompt toute homogénéité entre l’allure de ces marcheurs, et leur effort les disperse entre les diverses altitudes auxquelles ils sont parvenus. A mesure qu’ils s’élèvent, ils ont davantage le sort qu’ils désirent, et ils deviennent une autre aristocratie gardienne du présent, comme la noblesse est gardienne du passé. Entre la noblesse et la bourgeoisie s’étend une région indivise où elles mêlent leurs sympathies d’opinions, leurs rapports de société, leurs alliances de famille. Déjà, sous l’Ancien Régime, les grands-bourgeois se muaient en petits gentilshommes, et il se faisait entre les familles dont les tâches illustres avaient usé les ressources et les familles où le sang était plus pauvre mais la bourse plus pleine, des niveliemens compensateurs. Dans cet échange, devenu plus habituel de nos jours, ont subsisté les caractères qui distinguent ceux de chaque origine.

La bourgeoisie est maintenue dans le culte de la famille par une discipline de plus que la noblesse. Celle-ci, déshabituée d’abord du travail par nos rois, qui la dépossédaient de son rôle par crainte de son indépendance, a été, depuis nos révolutions, presque réduite par les intolérances ou les tares de la politique, aux vertus de l’oisiveté. Ceux qui, dans les campagnes où ils s’isolent, ne s’occupent pas de s’appauvrir par un reste de patronat, se réunissent dans les villes où ils mettent en commun les élégances de leur air, de leurs habitudes, de leur goût. Cette défaveur du destin, en les conviant à n’être pour la société qu’une parure, les prédispose aux coûteuses superfluités qu’on est tenté de compenser par des épargnes sur les naissances. Le travail est au contraire la puissance