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les Allemands s’étaient avancés jusqu’ici : on se battait sur ce tertre où nous demeurions si paisibles. Un an, et déjà ce silence ! Déjà ces fleurs, déjà cet effacement de l’histoire et ce prodigieux oubli de la nature ! Ainsi mon compagnon interrogeait ces ruines et leur réclamait son passé, comme un homme revient dans l’âge mûr aux endroits où il a aimé dans sa jeunesse ; il lui échappait quelquefois un mot en s’arrêtant : « Quelle différence, tout de même ! » ou bien : « Sont-ils tranquilles, maintenant ! » (Eux, — les Boches, bien entendu.) Et puis il repartait à fureter en tous sens. Il n’était pas enclin à la mélancolie.

L’ouvrage de Froideterre, que nous parcourions ensemble, est un des plus récens de la défense de Verdun. Il forme sur la rive droite le point d’appui occidental de la deuxième ligne des forts. Froideterre domine le défilé de la Meuse et commande à la fois la route de Verdun vers le Nord, le fleuve et le canal, face à la côte du Poivre et à celle du Talou. De sa position en belvédère sur la vallée, on embrasse une vue magnifique sur le coude de la rivière, sur les villages, maintenant rasés, de Bras, de Charny, de Vacherauville, échelonnés au fil de l’eau comme des lavandières, et jusqu’aux ouvrages de Marre et de Belle-Epine sur la rive opposée. Une longue échine réunit Froideterre à Douaumont, — une espèce de dos de vache, avec un garrot vers le milieu, qui porte l’ouvrage de Thiaumont. Le regard plonge à l’Est dans un précipice encaissé, appelé le ravin des Vignes.

La redoute est constituée par un système d’ouvrages séparés, selon le dernier mot de la fortification avant la guerre : coupole de 75, coupoles de mitrailleuses, casemate de Bourges s’alignent en balcon sur la Meuse, assez espacées pour offrir des buts disséminés et aussi peu vulnérables que possible au canon. Au milieu, le casernement ou l’abri pour la garnison. Ce noyau d’ouvrages bétonnés était autrefois entouré de retranchemens en maçonnerie, qui avaient dû former un savant hexagone d’une figure particulière, à présent informe, raturée et totalement illisible. Les talus, les fossés, les cours gisent bousculés, culbutés, concassés pêle-mêle dans une salade magistrale. C’est vraiment un joli travail, qui fait honneur à l’artilleur. La caserne a bien tenu, mais la couverture a reçu un obus : du pansement en sacs à terre qui a servi à boucher le trou sort