Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 42.djvu/588

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On m’a dit qu’Apollon, désespéré, dans l’ombre,
Et sentant sa splendeur morte avec son désir,
Jusqu’au matin nouveau pleura sous l’arbre sombre
La vivante beauté qu’il n’avait pu saisir…

Mais toi, homme d’un jour, tu dois vaincre la vie !
Qu’importe qu’un beau chant célèbre au fond du soir
La chimère à jamais vainement poursuivie ?
Sois plutôt sacrilège : abats le laurier noir.

Va ! blesse, s’il le faut, l’habitante sacrée,
La captive invisible emmêlée aux rameaux ;
Comprends que chaque coup qui l’atteint, la recrée,
Pendant qu’elle se tord sous l’écorce des mots.

Saccage, arrache, romps ! Que toute la Hellade
Retentisse du cri de ton heurt forcené
Et puis, ivre d’avoir délivré la dryade.
Dors, plus heureux qu’un dieu, sur le cœur de Daphné.


LE MATIN


Ma vie, il faut venir. La naissante journée
Déjà me semble triste et trop longue sans toi ;
N’entends-tu pas le son de ma flûte alternée,
Et mon plus doux pigeon roucouler sur ton toit ?

Viens, printanière, viens ! Le reflet de ton âge
N’est pas dans l’argent pur où rit ton front joyeux ;
Ton fidèle miroir est mon aimant visage ;
Ma vie, il faut venir : viens te voir dans mes yeux.

Pourquoi tant de parure ? Et pourquoi ces prières ?
Puisque à ton rose seuil à l’envi te guettant.
Les dieux adolescens dansent dans la lumière…
Depuis que je suis né, je crois que je t’attends.