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Il n’était pas lâche ; il marcha quelques mois plus tard, sans faiblir, au dernier supplice. On est réduit à expliquer un acte monstrueux par de petites raisons, puissantes sur un caractère faible : la tyrannie de l’habitude chez un Parisien que les émeutes et les ruines ne pouvaient éloigner de son banc au Parlement le matin, de son fauteuil à l’Opéra le soir ; la camaraderie, d’autant plus impérieuse que le nouveau camarade s’est donné plus de peine afin de faire oublier aux autres son origine, et de se ranger à leur niveau…

Il vola… À peine les poignées de main et les accolades refroidies, il revint désolé. On l’imagine rentrant dans son palais.

Montpensier, atterré dès le matin à la nouvelle du départ du Duc d’Orléans avec ses deux collègues, et prévoyant un désastre, avait été s’enfermer dans sa chambre où il resta tout le jour. « Mon père (je cite ici le journal) l’envoya chercher. Il le trouva fondant en larmes, assis devant son bureau, et les deux mains sur ses yeux. « Montpensier, lui dit-il en sanglote tant, je n’ai pas le courage de te regarder. » Mon frère m’a dit qu’ayant lui-même perdu la parole, il avait voulu l’embrasser et que mon père s’y était refusé, en disant : « Non, je suis « trop malheureux. Je ne conçois plus comment j’ai pu être « entraîné à ce que j’ai fait. »

« Et ils restèrent longtemps dans cette position sans proférer une parole de plus ! »


II. — CONVERSATIONS AVEC DANTON ET DUMOURIEZ

Après cette catastrophe commence pour le Duc de Chartres une période cruelle. Que fera-t-il ? Il veut servir encore, servir plus que jamais : c’est le meilleur refuge dans les embarras de la politique. C’est l’honneur retrouvé, après la chute paternelle. Il avait eu ce pressentiment dès le début de la Révolution ; il s’était promis à lui-même de n’avoir pas d’autre ambition. Bien plus, il avait pris à cet effet un engagement ; et cela dans de terribles circonstances.

Il était venu à Paris, récemment nommé lieutenant général, désirant ne point changer d’armée et demeurer aux côtés de Kellermann. C’était en 1792, peu de jours après les massacres de septembre. Il va chez Servant, ministre de la guerre, pour