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le plus grand : car ce sont eux qui auront à supporter le plus longtemps le poids des fautes commises, et, quand leurs aînés auront disparu, eux resteront. Il y a donc une iniquité manifeste à ce que nulle influence ne protège contre la dilapidation leurs biens les plus précieux, non seulement leur patrimoine et leur autonomie personnels, mais l’ordre, mais le territoire, mais la force, mais l’honneur de la patrie. Si la génération qui monte est inapte à sauvegarder elle-même son avenir, elle, indispensable à l’Etat, n’aura-t-elle donc personne dans l’Etat pour la défendre ? Quand un droit existe, l’incapacité de ses possesseurs à l’exercer n’autorise personne à le méconnaître, et, pour qu’il ne soit pas violé, on leur constitue un mandataire. Les enfans ont un mandataire, sans égal par l’attachement, la fidélité, la similitude entre ses propres intérêts et les leurs, c’est le père. Le père ne possède pas la plénitude de son propre droit où il ne peut sauvegarder l’avenir des siens. La société domestique dont il a le poids et dont la nation a le profit est une création nécessaire qui ne saurait être abandonnée au hasard et pour le salut de laquelle son fondateur doit être armé. Et puisque sous notre régime politique la source de l’autorité est le suffrage populaire, le moyen d’assurer à la famille une garantie dans l’Etat est d’offrir au citoyen, quand il est père, un surplus de suffrages[1].

Tout a tourné contre la famille depuis que la Révolution a donné le pouvoir au célibat mâle ; tout deviendrait favorable pour elle le jour où la majorité des suffrages appartiendrait aux pères. N’y eût-il pas d’autre changement, et les mêmes hommes gardassent-ils le pouvoir, tout serait changé. Le même intérêt qui tient fidèles aux désirs des célibataires les candidats ambitieux d’être réélus, attacherait les mêmes empressés, avec le même zèle, à des volontés contraires, si la balance indifférente oscillait sous un poids autre et plus lourd, et les privilèges de la famille paraîtront d’autant moins discutables que des suffrages plus nombreux seront assurés aux pères des plus

  1. « Nos lois électorales pourraient et devraient faire une différence entre le citoyen qui représente tout un groupe, toute une famille, tout un avenir, et celui qui, vivant seul, ne représente que lui-même. » (De Foville.) « Celui qui ne se marie pas n’est pas un ancêtre : il ne contribue pas à créer et à perpétuer la société dont il est partie… est-il juste de lui donner, à lui qui n’est qu’un passant au milieu de nous, la même voix délibérative qu’au chef de famille qui est une cellule sociale grosse de l’avenir ? » (Charles Gide.)