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nationale, il fallait puiser à des sources plus hautes que celles où un Flaubert, un Zola ou même un Maupassant avaient coutume de puiser. Aux sèches et pauvres constatations de la raison il proposait de substituer les vives intuitions du cœur. Ou plutôt, car il se gardait bien de contester les résultats de la science, il rêvait d’une science indéfiniment élargie, généreuse et progressive, et qui, au terme de son effort, rejoindrait les conclusions de la révélation chrétienne.

Sans aller aussi loin que l’auteur du Roman russe et des Remarques sur l’Exposition du Centenaire, Émile Faguet publiait en 1890 un volume d’« études littéraires » sur le Dix-huitième Siècle qui n’était pas pour lui donner tort. C’était le procès du siècle de l’Encyclopédie et de l’esprit voltairien. « Ni Français, ni chrétien, » le XVIIIe siècle a vu fleurir un rationalisme facile et superficiel dont la tradition s’est transmise jusqu’à nous, et qui, nous l’avons indiqué, s’était imposé aux maîtres de la génération précédente. À son insu, du moins je le pense, Renan ne fait bien souvent que reprendre les objections et les raisonnemens du Dictionnaire philosophique. En montrant, comme l’avait déjà fait Brunetière, mais à sa manière, avec une verve spirituelle et mordante, tout ce qu’il y avait de léger, d’incohérent, parfois même de puéril dans cette soi-disant « philosophie, » Faguet n’a pas peu contribué à ruiner, dans quelques-unes de ses assises essentielles, ce « bloc » dogmatique qu’était le scientisme[1].

Quelques mois auparavant, M. Bourget avait fait paraître le Disciple, un de ces livres qui font date dans l’histoire des idées, parce qu’ils marquent la rupture d’une génération avec celle qui la précède. Or, avant le Disciple, on admettait généralement

  1. « Que demain un thaumaturge se présente avec des garanties assez sérieuses pour être discuté ; qu’il s’annonce comme pouvant, je suppose, ressusciter un mort, que ferait-on ? Une commission composée de physiologistes, de physiciens, de chimistes, de personnes exercées à la critique historique, serait nommée. Cette commission choisirait le cadavre, s’assurerait que la mort est bien réelle, désignerait la salle où devrait se faire l’expérience, réglerait tout le système de précautions nécessaire pour ne laisser prise à aucun doute. Si, dans de telles conditions, la résurrection s’opérait, une probabilité presque égale à la certitude serait acquise… » (Renan, Introduction à la Vie de Jésus.) — Cf. Voltaire, Dictionnaire philosophique, article Miracles : « On souhaiterait par exemple, pour qu’un miracle fût bien constaté, qu’il fût fait en présence de l’Académie des Sciences de Paris, ou de la Société royale de Londres et de la Faculté de Médecine, assistées d’un détachement du régiment des gardes, pour contenir la foule du peuple, qui pourrait, par son indiscrétion, empêcher l’opération du miracle. »