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l’Angleterre, — ainsi formulait son programme M. de Witte, programme qu’il n’avait cessé de prôner pendant la guerre russo-japonaise et qui avait trouvé à Saint-Pétersbourg de nombreuses et influentes adhésions.


II

Tels étaient les propos et les opinions qu’on échangeait en ma présence à Paris, et tels les échos arrivant de Saint-Pétersbourg. Pour les partisans de l’entente anglo-russe, la grande question était de savoir s’ils auraient la chance de mettre de leur côté l’Empereur lui-même. Réussirait-on, au lendemain de la guerre russo-japonaise, à faire à Tsarskoé-Sélo ce qui fut fait à Paris à si courte échéance après Fachoda ? Quelle influence personnelle l’emporterait sur l’empereur Nicolas : celle du roi Edouard ou celle de l’empereur Guillaume ? Telle était la question capitale.

Pour ce qui était des relations personnelles, le roi Edouard jouissait à Tsarskoé-Sélo de sympathies bien plus sincères que son rival. — Calme, bon enfant, rempli de tact, « l’oncle Edouard » avait le talent de mettre à l’aise l’empereur Nicolas II ; les souvenirs de Copenhague, ceux de l’amitié personnelle qui avait uni Alexandre III et son beau-frère le prince de Galles, étaient fraîchement présens à la mémoire du jeune Empereur. Mais, derrière le souverain anglais, il y avait « la perfide Albion, » il y avait tout le système d’Etat anglais qui paraissait exclure l’influence du Roi du domaine de la politique extérieure. Oui, on avait engagé « Nicky » à aimer son oncle, à écouter ses conseils, mais on l’avait engagé aussi à se méfier de la diplomatie anglaise, toujours prête à contrecarrer les plus justes intérêts de la Russie en Orient ; on lui avait dit, — et il s’en apercevait bien lui-même, — que personne en Angleterre ne témoignait de sympathies au système autocratique de l’empire de Russie.

Le « cousin Guillaume » était certes légèrement encombrant ; il pressait les sympathies, il extorquait les aveux et les concessions; mais il paraissait franc, il invoquait incessamment les souvenirs de tout un glorieux passé ; il exprimait bruyamment son admiration pour le pouvoir illimité des Tsars et voyait dans ce pouvoir un gage de salut pour le monde entier, envahi par