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courlandais, d’une famille originaire de la Prusse, M. de Lamsdorf, homme incontestablement vertueux, d’une piété et d’une sévérité tout huguenotes, d’une belle allure militaire, enfin, plus que qui que ce soit apte à donner à ses deux pupilles la patine prussienne, si sincèrement appréciée et idéalisée par leur mère. Il fut créé comte au couronnement de l’empereur Nicolas.

Des années s’étaient passées. Deux générations de comtes Lamsdorf mariés successivement à des Russes orthodoxes, ne possédant plus de biens dans les provinces baltiques, vivant dans l’intimité de la famille impériale, — aboutissaient à une troisième génération toute pétersbourgeoise et qui n’aimait plus à se souvenir de ses origines germaniques. Le comte Wladimir, cadet de trois frères, d’une constitution frêle et d’un caractère timide, n’embrassa pas, comme tous ses aînés, la carrière d’officier des gardes. Il entra tout jeune encore au ministère des Affaires étrangères et apporta dans ce service des dons naturels d’application, d’esprit d’ordre, d’honnêteté scrupuleuse et de discrétion. On ne le voyait jamais dans le monde ; obstinément renfermé dans son travail et dans sa solitude, il n’ouvrait qu’à quelques amis intimes les trésors de son dévouement et de son inépuisable bonté. Assidu, autant que le lui permettait son travail, aux offices religieux dans les couvens et les petites églises ignorées du grand monde, il a à plusieurs reprises et très sérieusement songé à se faire moine.

Ernest Meyendorff, diplomate russe, dont les « mots » couraient les capitales européennes, disait de Lamsdorf qu’il était tout à fait comme le bon Dieu : on savait bien qu’il existait, mais personne ne l’avait jamais vu. Quand, par la suite, il devint adjoint du ministre, il se départit, par sentiment du devoir, de cette claustration volontaire. Les diplomates russes, venant de l’étranger, étaient longuement et aimablement reçus par lui et trouvaient devant eux, à leur grande surprise, un vrai et solide directeur politique qui se rappelait en détail tout ce qu’ils avaient écrit, qui s’intéressait à tout et savait donner des instructions précises et utiles. Lorsque la volonté souveraine le porta au poste de ministre, le comte Lamsdorf dut changer entièrement sa façon de vivre. Doué d’un goût fin et pur, il se fit une installation élégante, il donna d’exquis dîners, il se fit courtois et charmant auprès des dames qu’il devait recevoir,