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toute action allemande, on alla souvent beaucoup trop loin dans ce sens. Lorsqu’au cours d’un jubilé de la Prusse Orientale le roi Guillaume II institua un nouvel ordre des « chevaliers de Marienburg, » il s’empressa d’octroyer la décoration de cet ordre au comte Lamsdorf ; c’était lui rappeler ses origines teutoniques, le traiter comme un des siens. Or, en ce moment même, le ministre qui d’ailleurs faisait fi de tout clinquant et détestait toute démonstration voyante, était en butte aux persécutions et aux sarcasmes de la presse nationaliste russe, laquelle affectait de voir en lui un germanophile et un ennemi de l’idée slave.

Quelque temps après, Guillaume II ne trouva rien de mieux que d’appointer au poste d’agent militaire d’Allemagne à Saint-Pétersbourg un certain colonel comte Lambsdorff, congénère très authentique, malgré l’orthographe différente du nom, de la famille des Lamsdorf russes. Guillaume II croyait apparemment faire plaisir au « chevalier de Marienburg » et profiter des épanchemens qui s’ensuivraient entre les deux « cousins. » Il aboutit tout juste au contraire. Autant que le pauvre cher comte Wladimir pouvait en général détester quelqu’un, il détesta son cousin prussien, — personnage d’ailleurs correct et insignifiant. Et les quolibets du Novoié Wremya de recommencer !

Mais ce n’était pas seulement ces petites « gaffes » qui indis- posaient le ministre des Affaires étrangères de Russie : tout le fond des relations entre les deux pays le préoccupait.

Pour ne pas avoir à solliciter et à acheter trop cher les bons offices allemands, le comte Lamsdorf adopta volontiers les idées du comte Kapnist, notre ambassadeur à Vienne, qui préconisait une entente avec l’Autriche-Hongrie et reprenait avec habileté la politique de son éminent prédécesseur, le prince Lobanoff. Seulement, dans l’esprit de Lamsdorf, cette entente avait surtout un caractère d’opportunité et n’allait pas jusqu’au partage des sphères d’influence. Aussi subsista-t-elle pendant plusieurs années à l’état de modus vivendi sans porter le moindre préjudice à nos relations avec les pays slaves balkaniques. Mais à Berlin on ne la voyait pas d’un œil indifférent et la chancellerie russe possédait certains indices d’un travail souterrain allemand pour saper cette bonne entente qu’ostensiblement on saluait et approuvait à la Wilhelmstrasse et à Potsdam.