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des oscillations d’une volonté ordinairement puissante et dominatrice. En haut lieu, tout aussi bien que dans le public, on remarquait parfaitement ces oscillations et l’autorité du comte Witte en était profondément sapée dans le moment même où elle semblait s’affermir le plus et prendre la direction des affaires.


L’entrevue de Bjoerkoe constitue un tournant mémorable dans la direction de la politique russe, mais un tournant dans le sens absolument opposé à celui qu’avait en vue l’initiateur de l’entrevue, l’empereur Guillaume. Une fois de plus son impatience, son désir de saisir la proie au vol, son exagération des influences personnelles avaient compromis une partie qui semblait établie sur des bases logiques et solides. En quittant les eaux tranquilles et les rivages boisés du Skaergaard finnois, Guillaume II croyait emporter avec lui l’âme entière du monarque russe. Il avait au contraire jeté Nicolas II dans les bras d’Edouard VII et préparé un triomphe à la politique anglaise. De pareilles fautes, en se répétant et en s’amoncelant, menacèrent au cours des années d’étouffer le prestige de la politique allemande et de la diplomatie personnelle de son empereur; et, à la fin, pour sauvegarder les ambitions et les appétits dominateurs de l’Allemagne moderne, Guillaume II se vit contraint de recourir à l’ultima ratio regis et déchaîna sur son peuple et sur toute l’Europe une catastrophe telle que le monde n’en a pas connu depuis la migration des peuples et l’invasion de l’Empire romain par les Barbares.

Pour ce qui est de l’empereur Nicolas II, l’histoire de l’entrevue de Bjoerkoe démontre d’une façon irréfutable qu’en rencontrant son puissant voisin, il n’a certainement pas songé à sacrifier les liens et les sympathies qui le liaient à la France et au Danemark. Nicolas II n’a jamais consenti à trahir la cause de l’alliance franco-russe, et il y est resté fidèle à travers tous les événemens, per fas et nefas et jusqu’aux derniers momens de son malheureux règne.


A. NEKLUDOW.