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auraient été battues à Kieff par la Rada capitaliste de l’Oukraine. Il sait pertinemment que c’est un mensonge, mais il ne laisse passer aucune rectification dans la presse allemande, afin de présenter au peuple allemand comme un point acquis la paix mensongère conclue avec la Rada. Il ment en disant qu’il fera fournir par l’Oukraine du pain aux populations affamées de l’Autriche. Soldats allemands ! Fermez au gouvernement allemand sa bouche de mensonge ! Envoyez au diable ceux qui vous ont trompés, pour vous mener les yeux bandés sur les champs de bataille ! »

Assurément, cette proclamation n’était pas de style napoléonien, ni même de style révolutionnaire classique. Nos Jacobins, nos patriotes, se fussent exprimés sur un autre ton, et ce n’est pas exagérer de dire que l’accent en était jusqu’à présent inouï. Elle s’adressait non aux soldats russes et, pour cause, mais « aux soldats allemands : » ce qui paraissait dénoter chez Lénine et Trotsky l’arrière-pensée, non de faire la guerre à l’Allemagne, avec leurs armées dissoutes, soit qu’ils ne le voulussent, soit qu’ils ne le pussent pas, mais de la lui faire faire par les siennes, en les mettant, à force de propagande et de fraternisation, au même point que les Russes. On ne doit pas a priori exclure comme impossible, bien qu’elle reste à établir et que les apparences tournent contre elle, l’idée delà sincérité des bolchevikis. Tout révolutionnaire nourrit une dose d’illusion qui se fonde sur une sorte de fatuité ingénue, et toute révolution se croit une révélation ; la révolution russe plus que nulle autre, à cause du mysticisme inné, de l’espèce de « prophétisme » de la race. Elle se flatte d’être irrésistible. Chaque fois qu’elle fait craquer une allumette, il faut que la terre soit en feu. Comment ne déborderait-elle pas hors d’elle-même sur l’Allemagne et l’Autriche voisines, et comment les Empires, instruits par de telles leçons, ne se fondraient-ils pas, ne s’effondreraient-ils pas à son toucher ou seulement à son souffle ?

Avec sa brutalité coutumière, qui, dans la circonstance, l’a servi à souhait, l’État-major allemand a coupé court à ce rêve. Il a compté, comme le premier jour du délai d’une semaine convenu pour la dénonciation de l’armistice, le jour où Trotsky, à Brest-Litovsk, sans conclure la paix, avait déclaré la fin de guerre ; car, si « la fin de la guerre » n’était pas la signature de la paix, ce n’était que la fin de l’armistice ; du 10 au 18, sept jours francs ; et donc, le 18 à midi, les troupes impériales ont été remises en marche. Elles ont repris l’offensive sur deux points, formant ou se contentant de dessiner une tenaille entre les deux branches de laquelle elles menaçaient de serrer et de broyer la puissance