Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 44.djvu/239

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ministre à Petrograd, qui ont assiégé ses villes et ravagé ses campagnes, qui ont saisi ses navires dans les ports de la Mer Noire et les ont débaptisés et rebaptisés : Révolution sociale, République roumaine, Délivrance, les lançant comme des : brûlots : contre son trône et ses institutions (car le Soviet parle beaucoup de lâcher la Révolution chez l’ennemi, mais il ne l’a lâchée en fait que chez lui-même et chez les Alliés), la pauvre et loyale Roumanie a éprouvé combien elle était seule. Peu à peu se découvre, trop tard, une vérité qui aurait dû apparaître plus tôt. L’intervention de la Roumanie n’était souhaitable et ne pouvait être utile que si les puissances occidentales de l’Entente avaient, au préalable, établi une communication prompte et commode avec elle, et si elles s’étaient mises en mesure de la garantir contre la perfidie et l’ambition bulgares. Mais, du moment que l’expédition des Dardanelles avait échoué, et que le passage n’avait pu être ouvert, du moment que l’armée de Salonique piétinait sur place ou s’obstinait à chercher vers le Nord-Ouest un chemin qui ne la conduisait nulle part, à temps pour y sauver et maintenir ce qui, l’année d’avant, eût pu être sauvé et maintenu de la Serbie, renonçant à se frayer vers le Nord-Est un chemin qui l’eût peut-être conduite à Sofia et rapprochée de Bucarest, l’intervention perdait la plupart de ses chances, même si, derrière la Roumanie, se fût dressée une Russie forte et fidèle. Par l’infidélité de la Russie, tournant de plus en plus à la félonie, l’intervention roumaine, nécessairement, tournait en sacrifice. Mais aujourd’hui ? Nous aussi, avec la Roumanie, et à travers elle, nous sommes indirectement frappés. Le coup l’abat, mais le contrecoup nous atteint. Tandis que l’armée allemande de Linsingen, partie de Kovel, continue de marcher vers le Sud-Est, l’armée de Mackensen pourrait fort bien changer d’objectif et opérer une conversion. Salonique, en ce cas, pourrait avoir à se défendre comme camp retranché. Mais, pour demeurer dans le présent et dans le certain, la Roumanie va probablement se trouver hors d’état de faire autre chose que de s’incliner devant l’ultimatum allemand, et d’entamer les négociations que la fatalité lui impose. Déjà le comte Czernin est parti pour Bucarest, et M. de Kühlmann pour Focsany. Il se peut qu’avec un cynisme qui lui réussit, la diplomatie des Empires, après avoir donné au gouvernement roumain un délai pour entrer en négociations, lui donne un délai impératif pour accepter ses conditions. De toute façon, comme nous savons que la Roumanie ne nous a pas abandonnés, il faut qu’elle sache que nous ne l’abandonnons pas ; que l’Entente tient pour nulles ces paix séparées, que tout se révisera, et