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de cinquante livres de bougies, » afin d’assurer à son téméraire rejeton l’indulgence de la Faculté. Il faut dire, à l’honneur des examinateurs de ce temps-là, qu’ils renvoyèrent le cadeau, non point froissés du procédé, mais déclarant qu’ils avaient été émerveillés des connaissances du candidat et que celui-ci ne devait rien qu’à son savoir[1] !

M. Thiriot est le précepteur de Frenilly ; c’est un honnête et pauvre professeur, « un don Quichotte en perruque à marteaux, habit, veste et culotte noirs, l’idéal du cuistre, du pédant ; d’ailleurs le meilleur homme du monde, mais le tyran du barbarisme et le fléau du solécisme. » Là aussi, pourtant, on pratiquait la « méthode attrayante : » à la maison de campagne de Saint-Ouen, où l’on passait la belle saison, on s’assemblait, filles et garçons, chez le père de Frenilly ; il y avait, outre les enfans de la maison, les cousines Adèle et Félicité de Chazet, et Mlle Necker dont la mère habitait une propriété voisine. On déjeunait gaiement, on faisait une partie de cerf-volant dans le jardin ; puis les parens dictaient le thème d’une composition que chaque élève rédigeait isolément : le devoir terminé, les concurrens jouaient aux barres ou couraient sur les pelouses ; l’aréopage se constituait et examinait les copies ; le prix était une couronne de roses et l’accessit un bouquet. « De mon enfance je ne me rappelle que jeux et plaisirs, » écrira plus tard le trop heureux Frenilly. De fait, on n’imagine point apprentissage plus bénin et plus orné. Après Thiriot vient Guiraudet : tête en parallélipipède, teint olive, mains taillées en épaules de mouton et emmanchées de doigts d’un tel diamètre que le malheureux qui patauge tout le jour sur le piano, ne parvient jamais à toucher moins de deux notes à la fois ; honteux, du reste, d’être précepteur, persuadé que cet emploi est une dérogation humiliante, il se refuse opiniâtrement à s’occuper de tout ce qui concerne l’instruction ou l’éducation de son élève. Durant six ans, celui-ci n’apprend rien de ce maître original. Ensemble ils sont assidus au théâtre, ou « perdent leur temps très volontiers, » visitant les monumens de Paris, les manufactures, les galeries de tableaux ; ou bien ils vont, deux ou trois fois la semaine, flâner chez les beaux esprits qui tiennent cercle et reçoivent tout venant : c’est ainsi que

  1. Mémoires du général baron Thiébault.