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horreurs qu’ont volontairement oubliées les Magyars d’aujourd’hui, descendans indignes de leurs héroïques ancêtres.

Cependant, la France n’avait plus d’agent diplomatique à Saint-Pétersbourg, tandis que Kisseleff était resté à Paris. Ce diplomate fît insinuer au général Cavaignac qu’il serait convenable d’envoyer quelqu’un à Saint-Pétersbourg dans la même qualité que lui, et cette insinuation fut accompagnée de paroles qui semblaient annoncer que, dans un avenir prochain, le gouvernement impérial reconnaîtrait la République française. Cette mission décidée, Cavaignac désigna pour la remplir, un de ses camarades de l’armée d’Afrique, le général de brigade Le Flô. Envoyé par M. Thiers en Russie comme ambassadeur après la guerre de 1870, Le Flô devait y rester durant douze années et y rendre à son pays, notamment en 1875, des services inoubliables qui ont mis son nom en lumière. En 1848, il était peu connu. mais ceux qui le connaissaient disaient de lui qu’il était franc, loyal, spirituel et essentiellement soldat. Nul choix ne pouvait mieux répondre aux prédilections militaires du tsar et à l’idée qu’il s’était formée du gouvernement de Cavaignac. Parti avec sa nomination de ministre dont il ne devait faire usage que lorsque la République aurait été reconnue, Le Flô reçut l’accueil le plus flatteur.

« Général, soyez le bienvenu à Saint-Pétersbourg, lui dit Nicolas. La France ne peut ignorer combien j’ai d’estime et de sympathie pour elle, combien j’aime sa brave armée, et je suis heureux de pouvoir vous l’exprimer. Je vous reçois d’abord comme soldat C’est un autre soldat qui vous accueille avec estime et affection ; et, à ce titre, je vais vous parler avec toute la franchise que comporte ce caractère commun. Je reconnaîtrai la République française, et la main que je vous donne en est la plus ferme assurance ; mais les habitudes de l’Empire veulent que j’attende pour le faire que votre gouvernement soit complètement constitué, constitué définitivement par le vote de sa Constitution ; je vous recevrai immédiatement après comme ministre. En attendant, comptez sur tout mon désir de vous être agréable, et, je le répète, sur mes vives et sincères sympathies pour la France. »

La suite de l’entretien conserva ce caractère de cordialité. L’Empereur reconnut qu’en matière de gouvernement, la forme républicaine était certainement la plus naturelle, « quand on