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barbarie, ce qui lui reste encore de goût, à elle aussi, pour le « suif de chandelle, » qui l’a perdue, en lui suggérant des méthodes atroces ; ces méthodes ont suscité contre la Germanie un peuple à coup sûr « amant de la propreté, » — puisqu’à New-York, dans des hôtels à vingt sous la nuit, comme le Mill’s Hôtel, on a droit sans supplément au bain et à la douche, — mais qui n’est point pour cela un peuple faible, puisque sa volonté imployable et son génie inventeur ont, en un demi-siècle, asservi un continent.


II

Ces chevaliers de l’âge électrique, qui apportent à leurs alliés d’Europe leur personne, leur or et leurs brevets les mieux garantis sont, de toutes les nations, la moins autochtone par ses citoyens et la plus dissemblable par son territoire. Les Américains d’aujourd’hui n’ont plus rien de britannique que la langue ; encore n’est-ce pas vrai partout et, par exemple, à New-York, le « Comité de défense nationale, » constitué sous la présidence du maire, constatait, en septembre dernier, que « 80 pour 100, sur les cinq millions d’habitans de cette métropole, étaient étrangers soit de naissance, soit de langage ; » que plus d’un demi-million ne peut ni parler ni lire l’anglais, et, tout en regrettant que cela n’ait pas été fait plus tôt, il commençait une active campagne pour « américaniser New-York. »

A cette tâche se sont voués aussi l’« Association des marchands, » « l’Alliance américaine du travail et de la démocratie, » dont M. Samuel Gompers est le président, les « Associations des jeunes gens, » chrétiens et Israélites, et beaucoup d’autres groupemens des deux sexes pour multiplier les écoles et fusionner en hâte ces masses étrangères en un tout homogène. Le mot d’ordre de tous est : « Une seule cite, une seule patrie, un seul peuple. » Un simple coup d’œil sur les types et les figures des exemplaires variés d’humanité qui se pressent dans les rues de Brooklyn, le quartier ouvrier de New-York, suffit à convaincre qu’une américanisation réelle ne sera pas l’œuvre d’une saison, qu’il y faudra des années et sans doute la vie d’une génération entière. Mais l’intérêt matériel a manifestement créé un lien de fait entre les immigrans et le refuge qu’ils avaient choisi.