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IV

Le rôle que l’Amérique est appelée à jouer dans la guerre, l’efficacité de son effort, sont entièrement subordonnés à ses capacités de transport sur mer. Comment se procurer les navires ? Le chancelier allemand affirmait au Reichstag l’an dernier que les États-Unis n’y parviendraient jamais. Il y eut, en effet, au début chez nos alliés des difficultés et des retards. La controverse entre le général Gœthals, partisan exclusif des navires en acier, et M. Denman, qui tenait pour la création d’une flotte en bois, dura plus de trois mois pendant lesquels on se borna à discuter les mérites respectifs de l’un et l’autre système.

Les prôneurs de navires en bois, susceptibles d’utiliser les immenses ressources forestières des États-Unis, rappelaient les merveilles des lancemens rapides de la guerre anglo-américaine de 1812 et de la guerre de Sécession. De petites armées d’ouvriers intrépides, opérant dans une contrée presque déserte où le bois seul se trouvait en abondance, avaient construit, il y a un siècle, des corvettes en quatre semaines, des frégates en quarante jours et des « vaisseaux de 100 canons » en trois mois. L’idée qu’on se faisait, en avril 1917, des navires en bois destinés à esquiver les sous-marins, était celle de bateaux sans mâts, de 2 500 à 3 000 tonnes, bas sur l’eau, propulsés par des machines à combustion interne, donc n’émettant pas de fumée. Leur visibilité serait ainsi très réduite. On admettait pourtant qu’en attendant la production d’un nombre suffisant de machines Diesel, une partie de ces navires pourrait être à voiles. Entre temps, la guerre sous-marine continuait et fournissait, par ses expériences quotidiennes, des argumens décisifs aux défenseurs de l’acier. Enfin le 28 juillet le président Wilson trancha la question en demandant à M. Denman sa démission du Federal Shipping Board, en acceptant celle du général Gœthals et en confiant à M. Edward N. Hurley la tâche gigantesque de création des 8 millions de tonnes nécessaires, pour combler les vides existant ou à prévoir dans la flotte mondiale, par suite des torpillages germaniques. Ce tonnage devait permettre le transport en Europe des troupes, du matériel et des marchandises américaines pour les Alliés. C’était la question vitale de la guerre.