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UNE ÉTOILE PASSA…

doyen de la Comédie en personne, l’Opéra-Comique, l’Opéra ; il y aurait même des danseuses. Jamais on n’avait ont parler d’un programme comparable. On annonçait de Chantilly qu’un général russe, en tournée sur le front français, assisterait probablement à la représentation. Tout cela, comme à l’ordinaire, éclatait en surprise, en bombe : la troupe débarquerait à Calais dans deux jours ; le général, accompagné d’un officier du ministère, arriverait directement en automobile à Nieuport.

Cette avalanche de nouvelles dramatiques et militaires occupa tout le déjeuner. Le général avait la coquetterie de son secteur et tenait à en faire parfaitement les frais. Il aimait à recevoir et le faisait du meilleur air. Plus que sobre pour lui-même et observant une diète sévère, ne buvant pas, ne fumant pas, mangeant à peine, il se piquait d’offrir à ses hôtes une table recherchée, des vins de choix, les meilleurs cigares. Dans ce pays de Belgique, où il représentait la France, il se préoccupait des invitations à faire, de cent questions compliquées de préséance et d’étiquette. Il y avait de quoi exercer tout un protocole. Notre camarade C..., qui portait un des beaux noms de France, fut chargé de la partie diplomatique. Un second reçut la mission de prévenir les troupes, de faire le service d’ordre et les fonctions d’introducteur. Un troisième s’occuperait de la réception à l’issue de la comédie. Restait à désigner celui de nous qui devrait piloter les artistes, commander les voitures, retenir les chambres à l’hôtel, faire en un mot le garçon d’honneur. Le patron, qui ne détestait pas que les jeunes gens s’amusent, et à qui Lauvergeat plaisait comme un grand enfant qu’il était, avait déjà son idée, mais il la faisait attendre pour se donner la comédie de faire languir le jeune homme. Celui-ci ne levait pas le nez de dessus son assiette. Qui sait ? Il songeait sans doute à son roman de Saint-Cyr, à tout ce monde inaccessible des rêves et du théâtre, qu’un hasard de guerre allait peut-être rapprocher à portée de sa main.

— Voyons, disait le général en feignant de chercher tout autour de la table. Vous, Letellier ? Ah ! vous êtes de service après-demain. Eh bien ! Poydavant est-il libre jeudi ?

Le capitaine Poydavant, officier de dragons, bel homme, magistrat dans une ville du Midi, portait avec distinction une goutte aristocratique et une admirable calvitie. Il entra de bonne grâce dans la plaisanterie. Il avait justement jeudi