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UNE ÉTOILE PASSA…

pour la troupe étaient encore peu développés. Les armées bougeaient peu. Il n’existait pas ce grand jeu de pompe aspirante, ces vastes courans d’air qu’ont déterminés les batailles de la Somme et de l’Aisne. On était au début de juin 1916. Les Russes entraient à Loutsk : on commençait à reparler de l’intervention roumaine. Ainsi les troupes, vivant longtemps dans le même pays, y avaient pris des mœurs de colonies sédentaires. Il faut bien parler au passé de cette époque de guerre casanière, si vite oubliée dans le branle-bas et le perpétuel « en l’air » des dernières campagnes, dans les immenses tourbillons de Champagne et d’Italie,

Ce théâtre sans rival était une création des zouaves. Ils avaient déjà en Crimée leur théâtre de l’Alma, qui a son chapitre dans l’histoire après ceux de Mme Favart et de la Montansier ; ils n’avaient pas tardé à en ouvrir un à Nieuport. L’audace vint avec le succès : les zouaves décidèrent de construire. Un vrai théâtre s’éleva ‘ans un camp, appelé Bador du nom d’un jeune zouave de vingt ans, sur le cadavre duquel on avait recueilli un testament de quelques lignes, très simples, disposant de ses affaires et consolant sa mère en peu de mots admirables de discrétion et de noblesse. Le théâtre des Dunes avait été inauguré en avril par une troupe du Théâtre aux armées, qui était partie enchantée en promettant de revenir : elle revenait, en effet, avec la belle saison, et la fête s’annonçait plus brillante que jamais.

Ce théâtre, à la vérité, n’était peut-être pas la huitième merveille du monde que nous nous figurions. Ce n’était après tout qu’une grande baraque en planches, avec un toit de tôle ondulée. Mais c’était un théâtre, et le prestige de ce nom suffisait à revêtir l’édifice d’un attrait spécial, comme un lieu de délices. Un grand parterre de six cents places descendait en plan incliné jusqu’aux places officielles, devant la fosse de l’orchestre ; puis il y avait le plateau, bien visible de toutes parts, avec une rampe électrique ; un manteau d’arlequin encadrait la scène, fermée par un rideau sur lequel un décorateur de la Compagnie transatlantique avait brossé un golfe de Naples avec des flots d’outre-mer et des colonnades pourpres aux degrés inondés de roses, chef-d’œuvre à faire envie à tous les palaces de la côte. Il y avait même deux décors, dont l’un représentait la « ville, » — un intérieur bourgeois avec des