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Nul doute que l’idée ne soit venue à d’autres : Guynemer a ses cinquante, Guynemer va se reposer. Et peut-être : Guynemer a son compte, Guynemer ne volera plus. « C’est chose royale, a dit Alexandre reprenant un propos du philosophe Antisthène, quand on fait le bien, d’entendre dire du mal de soi. » Guynemer n’a jamais connu ce plaisir royal. Tout entier à sa tâche, à sa mission, il ne soupçonne même pas le complot qui se forme pour son salut et lui prête des pensées inférieures. Il va lui-même surveiller les réparations de son avion, et revient avec lui le 15 août dans les Flandres.

Ses camarades, tour à tour, y cueillent des lauriers, parfois sanglans comme le capitaine Auger : tels le capitaine Derode, l’adjudant-chef Fonck, — nouvel Aymerillot, tout petit et jeunet dans le groupe de ces chevaliers errans, — Heurtaux, Deullin, nommé capitaine, qui seront blessés, et le lieutenant Gorgeux, et le caporal Collins. L’aviation de corps d’armée, l’aviation de bombardement ont, comme l’aviation de chasse, leurs héros des Flandres. Trop nombreux sont les noms qu’il faudrait exalter ici. Du moins n’oublions pas les morts : le lieutenant observateur Mulard, le maréchal des logis pilote Thabaud-Deshoulières, le sous-lieutenant pilote Bailliotz, le sous-lieutenant observateur Pelletier qui, blessé mortellement, meurt après avoir atterri et murmuré avec confiance : « C’est pour mon pays ; je suis content… ; » le lieutenant Ravarra et le sergent Delaunay qui, spécialistes des attaques de nuit, disparaîtront dans les ténèbres sans qu’on ait rien su d’eux…

Guynemer est donc rentré au camp le 15 août. Le 17, l’avion enchanté fait des miracles : il abat à 9 h. 20 un biplace Albatros qui s’enflamme avant de s’effondrer sur Vladsloo et cinq minutes après, à 9 h. 25, un D. F. W. qui tombe en feu au sud de Dixmude. Le capitaine Auger et aussi le sergent Cornet, des Cigognes, qui a été tué le 16 août, sont vengés par leur terrible compagnon qui, le 18, tire encore à bout portant un biplace sur Staden, et le 20, montant cette fois son ancien Vieux-Charles, foudroie un D. F. W., sur Poperinghe. En quatre jours, il a cueilli trois trophées certains, et dans des conditions de guerre aérienne qui deviennent de plus en plus dures matériellement et difficiles, en raison de la hauteur et du nombre. Malgré le temps qui, ce mois d’août, fut presque continuellement orageux ou pluvieux, malgré les méthodes