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veille encore, trouvait aux « francs-tireurs » toute sorte d’excuses, donne l’ordre de réduire en cendres le village de Rosey. L’incendie de Rosey est un morceau capital. L’auteur y a mis tous les élans lyriques et tous les points d’exclamation dont il est capable ; mais atteint-il à cette grandeur épique où il vise ? je n’en jurerais pas.

Cette description sert à traduire les impressions du lieutenant Schlosser, encore un antimilitariste. Schlosser, dans le civil, est critique d’art. Qu’on ne lui demande pas d’aimer la besogne qu’il accomplit en versant des larmes :


Larmes, larmes de délivrance dans une mer de sang et de feu ! Larmes dans les yeux de celui qui se tient sur un monceau de cadavres entassés par ordre ! Dieu du jugement dernier et larmes, chaudes, brûlantes, amères, salées, telles qu’il en versa le jour où ses pieds foulèrent pour la première fois les contreforts méridionaux des Alpes et où ses yeux, à Milan, contemplèrent la Cène de Léonard de Vinci ! En vérité, je vous le dis, il en est un parmi vous qui me trahira ! Il en est un, il en est un, il en est un qui voulait devenir poète et qui a vu cela et qui a fait cela ! Il en est un parmi vous qui me trahira.


Berkersburg a vengé Adolf, mais il a chèrement acheté sa vengeance. Un paysan, surgi du village en feu, a planté dans le dos du major une fourche à fumier.

On le transporte, déjà paralysé plus d’à moitié, à Falkenstein, sur la frontière russe, dans la baronie où Mélanie s’est réfugiée auprès de son père. Mélanie, toujours éprise, n’admet pas qu’Adolf ait été tué et que son mari ait la vie sauve. Elle en marque une colère violente et un dépit croissant.

Le major n’en a plus pour longtemps, mais il mourra plus tôt encore que les médecins ne l’ont annoncé. Un jour, ce cri d’alarme retentit : « Les Cosaques ! » Un vieux serviteur installe en hâte dans une carriole le major de Berkersburg. Et c’est une fuite éperdue devant les Cosaques ; mais ils rejoignent les fugitifs et engagent avec eux un court combat. Berkersburg est mortellement frappé.

Mélanie n’a pas attendu l’invasion pour quitter Falkenstein. Dominée par les idées qui étaient celles de son amant, surtout par cette haine qu’il vouait à la Prusse et au militarisme prussien, Mélanie gagne la Belgique pour tenter d’y réparer les crimes commis par ceux qu’elle rougit d’appeler ses compatriotes. Ce sentiment honore Mélanie de Berkersburg. Il est seulement assez invraisemblable chez une femme telle que l’auteur nous l’a montrée jusqu’ici. Le caractère de Mélanie ne manquerait-il pas d’unité et de cohérence ?