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seul cri monte de la poitrine de tous les malheureux. « Nous serons sûrement torpillés ! »

La catastrophe prévue se produit quelques heures après le départ de saint Jean-Baptiste. Le Gigantic reçoit une torpille allemande en plein flanc. Il va couler à pic d’un moment à l’autre. M. Stilgebauer, qui se plaît à la peinture des situations corsées, ne manque pas de tirer de celle-ci tous les effets qu’elle comporte. La péripétie la plus poignante est peut-être celle qui montre le financier van Houten, le second des deux tristes personnages dont M. de Chatelanard avait tenté en vain la conversion, essayant de s’assurer la vie sauve en échange d’une partie de cette fortune qu’il porte dans sa sacoche.


Laissez-moi entrer dans le canot ! s’écria van Houten. Un revolver braqué sur son front lui répondit. Un canot, de nouveau, était plein et van Houten n’en faisait pas partie. Alors, d’une voix plaintive, il offrit de l’argent aux matelots, d’abord raille, ensuite deux mille, puis trois mille dollars. Mais personne ne l’écoutait. Il offrit alors quatre, cinq, six et dix mille dollars, mais ses paroles restèrent sans écho.

Le canot descendit dans la mer. Et le câble dont il était attaché effleura la main de van Houten, cette main où il tenait, tremblant et frémissant, sa sacoche, la sacoche contenant toute sa fortune. Car il ne la quittait pas des yeux. Autrement, il serait devenu fou...

Et soudain, il se mit à crier comme une bête, mais non point de douleur, bien que sa main saignât, déchirée par le câble du canot. Non, il pleurait parce que sa sacoche lui avait échappé en décrivant une large parabole. Arrachée par le câble, précipitée dans l’Atlantique ! Van Houten en avait perdu la raison. D’abord il se mit à rire comme un écolier qu’on a mené au cirque. Ensuite, il cria : Tuez-moi ! mais nul ne l’écoutait plus.

Les hurlemens des nègres, venant de la salle des machines, étouffaient tout autre bruit. On les avait enfermés et ils ne pouvaient ni avancer, m reculer. Et l’eau qui montait dans les couloirs et les escaliers atteignait déjà la hauteur d’un homme. Toutes les lumières électriques s’étaient subitement éteintes. Les nègres devaient périr, étouffés ou noyés.


La mort n’épargne pas plus les blancs que les noirs, les braves gens du bord que les bandits. Les cadavres des hommes d’équipage flottent pêle-mêle avec ceux de van Houten et de lady Mabel Road.

Et c’est la première partie du roman. Elle n’est qu’une introduction un peu longue à la seconde partie, qui est la pièce de résistance du livre et qui est une chose vraiment étrange.

Cette seconde partie nous transporte sur le lieu du crime, à bord du sous-marin allemand qui torpilla le Gigantic. Un obstacle gêne la marche du bateau assassin. Qu’est-ce donc ? Un matelot s’enquiert et