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qu’ils connaissent bien se croisent, s’enchevêtrent sous eux. Voici le chemin de fer, ou ce qui fut le chemin de fer d’Ypres à Thourout, qui passe au Nord de Langemarck, et voici la route d’Ypres la Ruinée, d’Ypres martyre à Thourout, qui passe par Saint-Julien et Poelcapelle. Sur nos lignes, sur les lignes anglaises, ils n’ont rencontré aucune patrouille ennemie. Ils franchissent au-dessus de la Maison Blanche, à l’Est de Langemarck, les lignes anglaises, ils s’avancent sur les lignes allemandes, du côté de Poelcapelle, ils ont sous eux les vestiges de Poelcapelle.

De ses yeux habitués à scruter le ciel, de ses yeux qui ne laissent rien échapper, Guynemer a découvert un ennemi, un seul, qui vole plus bas. Il a fait à son compagnon le signe convenu. Le combat va s’engager. L’inévitable est là. L’inévitable, c’est le devoir.

L’attaque d’un biplace au-dessus des lignes ennemies et libre ainsi de sa manœuvre, est toujours une opération délicate, à cause de son vaste champ de tir : le pilote tire dans l’hélice, comme sur monoplace, mais le passager, avec sa tourelle, embrasse tout l’espace, sauf deux angles morts, le premier en avant, le second sous le fuselage et sous la queue, ainsi qu’en arrière de celle-ci, dans l’axe du fuselage. Le tir de face, habituel à Guynemer, est difficile : les vitesses additionnées des deux appareils le rendraient imprécis pour tout autre et, de plus, le pilote et le passager sont blindés par le moteur. La meilleure position sera derrière la queue et légèrement en dessous.

Guynemer la connaît bien. Il sera toujours temps de la chercher par une vrille ou un retournement, si l’attaque directe n’a pu réussir. Il essaie de la surprise, en se plaçant entre le soleil et l’ennemi pour ne pas être vu. Mais le soleil se voile, — refusant de le dissimuler dans sa lumière. Alors il plonge afin de descendre et se tenir au niveau de l’adversaire, les plans ne formant plus qu’une ligne mince peu visible. Cependant l’ennemi l’a aperçu et manœuvre afin de le garder dans son champ de tir. Pour l’empêcher d’ajuster, il serait prudent de ne pas se diriger sur lui selon une trajectoire rectiligne, car un mitrailleur de sang-froid tirant contre un avion marchant droit sur lui a les plus grandes chances de l’atteindre : il faudrait décrire des zigzags pour obliger le tireur adverse à déplacer sa mitrailleuse d’un bord à l’autre, garder un peu de hauteur et, en se