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Auger, 7 ; capitaine Doumer, 7 ; sous-lieutenant de Rochefort, 1 ; sergent Sauvage, 8 ; capitaine Matton, 9 ; adjudant Lenoir, 11 ; sous-lieutenant Dorme, 23.

Faudra-t-il donc ajouter :

Capitaine Guynemer, 53 appareils abattus ?

Personne n’ose inscrire ce nom. Personne n’a plus d’espoir et personne n’ose désespérer.


Un poète de génie, qui fut aviateur avant et pendant la guerre, Gabriele d’Annunzio, dans son roman Forse che si fofse che no, analyse l’amitié de deux jeunes gens, Paolo Tarsis et Giulio Gambasio, née d’une parité de goûts pour la conquête de l’air et développée dans la communauté des risques : livre écrit trop tôt, car il n’a pu donner à cette amitié la puissance accrue de la guerre. Cambasio est tué au concours de hauteur de l’aviation, dans la plaine qui s’étend de Bergame au lac de Garde. Comme Achille ravagé par la mort de Patrocle, Paolo Tarsis n’a laissé à nul autre le soin de recueillir et garder son ami : « Paolo Tarsis veillait sans larmes la dépouille de son compagnon dans la nuit brève. Il était rompu, le plus riche rameau de sa propre vie ; elle était détruite, la plus généreuse partie de lui-même ; elle était diminuée pour lui, la beauté de la guerre. Il ne devait plus voir, en ces yeux, se doubler l’ardeur de son effort, la sécurité de sa confiance, la célérité de sa résolution. Il ne devait plus connaître les deux joies les plus candides d’un cœur viril : la clairvoyance dans l’attaque et dans la besogne en commun, le doux orgueil de protéger le repos de son pair. »

Elle était diminuée pour lui, la beauté de la guerre… La guerre est déjà si rude et si longue, si cruelle et ardue, si chargée de douleur : faut-il que ceux qui la couvraient de gloire, comme on couvre de fleurs une tombe, disparaissent pour la laisser nue, et leur disparition, — et surtout la disparition de leur roi, — ce jeune homme éblouissant et téméraire dont toute l’armée suivait le sillage lumineux, — ne va-t-elle pas se traduire par une diminution d’élan et d’ardeur, par une diminution de forces ? Un Guynemer est un étendard. Si les yeux, dans la lutte, ne voient plus l’étendard flotter, ils se détournent vers la misère des besognes quotidiennes, vers le sang, vers les blessures, vers la mort. Là est le danger collectif