Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 44.djvu/81

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Guynemer avait été abattu à Poelcapelle le 10 septembre, à 8 heures du matin. Mais comme ce message est suspect ! Le jour et l'heure sont inexacts. Le 10 septembre, à 8 heures du matin, Guynemer vivait. Il vivait le 11 à la même heure et n'était pas encore parti pour la tragique expédition. Et comme un journal anglais a sans précaution annoncé sa disparition, l'ennemi a pu exploiter le renseignement. Le mystère n'est pas éclairci. Le mystère demeure.

Tandis que les derniers avions atterrissent, ses camarades développent sans conviction toutes ces raisons d'espérer, de croire. On devine que leur siège est fait, et que d'ailleurs, la vie, la mort, qu'est-ce donc auprès de l'action poussée jusqu'au bout pour le pays ?

Le capitaine d'Harcourt a succédé provisoirement au commandant Brocard dans le commandement du groupe de combat : frêle, menu, élégant, si jeune lui aussi, d'une grâce et d'une courtoisie d'ancien régime, et qui de sa politesse même et de sa douceur apparente tire un art de persuasion et d'autorité. À la place de Heurtaux blessé et de Guynemer disparu, le commandement de l'escadrille des Cigognes est en ce moment exercé parle lieutenant Raymond, un cavalier : figure en lame de couteau, silhouette héroïque à la don Quichotte, bourru bienfaisant, cœur d'or, paroles promptes et colorées. Voici Deullin, l'un des plus anciens amis et des plus chauds de Guynemer. Et voici, descendu le dernier du ciel, le sous-lieutenant Bozon-Verduraz, démarche un peu massive, visage grave, sérieux, d'uue maturité précoce, un modeste qui a horreur de toute vantardise, de tout blufî, et qui a le culte de la vérité.

Le récit minutieux est recommencé. Comme une avenue qui conduit à un éboulement, il aboutit à l'abîme. Mais de toutes les phrases échangées par ses camarades, je ne puis tirer la pensée d'un Guynemer mort à cette heure et enseveli dans les lignes ennemies. Il m'est impossible de ne pas imaginer un Guynemer en mouvement, un Guynemer en chasse, les traits tendus, les yeux terribles, le Guynemer à la volonté surhumaine, le Guynemer qui ne renonce jamais, le Guynemer immortel.

Quelle atmosphère respire-t-on ici, pour que l'idée de la mort cesse d'être obsédante et lourde ? Quelqu'un, Raymond peut-être, a dit avec indifférence :