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« Elle part avec Musset dans la malle-poste de Lyon, libre, (car Dudevant est en Berry avec Solange, et Maurice confié aux grand’mères) légère, heureuse, avide de voir et de connaître, hantée d’ailleurs, toujours, par le charme de cette Italie qui l’attire.

Loin de moi le projet de disserter, après tant d’autres, sur ce voyage célèbre ; il est impossible pourtant de le passer ici sous silence, car, après les jours heureux, vinrent les sombres jours d’amertume et de détresse, et les lettres de George Sand à F. Buloz sont là ; elles se suivent régulièrement depuis la maladie de Musset, en février 1834, et pendant le séjour de sa compagne en Italie.

Les voyageurs arrivèrent à Venise le 19 janvier ; à peine remise des fièvres qu’elle avait contractées à Gênes, George Sand travailla. Bientôt elle tomba de nouveau malade, et Musset à son tour. C’est alors qu’elle écrivit à F. Buloz les lettres qui suivent, conservées soigneusement rue des Beaux-Arts, et rue Saint-Benoît, et qu’on appelait les Lettres de Venise.


LETTRES DE VENISE

Ce n’est jamais sans émotion que je touche à ces Lettres de Venise [1] Leur mince papier jauni, plié tant de fois, et éraillé, renferme un parfum de fièvre et d’angoisse. On voit que la femme qui a tracé ces lignes pâlies était tremblante : son écriture même est incertaine, s’arrête soudain, et reprend brusquement, hachée et différente... On la sent frémissante, elle a peur, elle se lève vingt fois de sa table à écrire pour aller vers le lit où lutte son ami : une grande ombre est là, qui le menace... George Sand se penche, écoute, touche le front du malade, retourne écrire cette lettre, qu’elle a mis neuf heures à écrire ; dans sou trouble elle perd son style, elle oublie même parfois son orthographe :


« 4 février.

« Lisez quand vous serez seul !

« Mon chez Buloz, vos reproches tombent sur moi dans un triste moment. Si vous avez reçu ma lettre, vous savez déjà

  1. Quelques extraits de ces lettres ont été publiés par S. de Lovenjoul dans l’histoire d’Elle et Lui, et par M. R. Doumic dans son ouvrage sur George Sand.