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il est amoureux certainement, parce que, d’ordinaire, il est d’une exactitude extrême. Mais quand l’amour le tient, il est impossible d’en obtenir le moindre souvenir[1]. »

Et à Buloz elle écrit, le 4 juillet :

« J’envoie à la poste restante trente fois par semaine, mais toutes les lettres s’y perdent, ou y font des sommes de six mois. Envoyez-moi vous-même les mille francs, le 15 juillet au plus tard. Je compte sur vous, mon ami, sur votre parole et sur votre amitié, pour ne pas me faire partir plus tard que le 25. Je suis très mal portante, et incapable de voyager vite : un jour de repos de plus ou de moins à prendre en chemin me sera précieux comme la vie, si toutefois la vie est précieuse, ce dont je vous laisse la décision, mais j’ai le mal du pays, non pour le pays, mais pour mes enfans qui y sont, et que je suis malade de ne pas voir depuis si longtemps. Je vous remercie mille fois de la bonne intention où vous êtes d’aller voir mon fils…

« Je suis charmée que vous ayez la Revue de Paris, pour mon compte, espérons que vous y trouverez le vôtre ; on m’a écrit que ça n’était pas une bonne affaire, mais qu’en sait-on ? Vous avez de l’activité, du génie, de l’obstination, et Gerdès !

« Pour moi, je travaillerai pour celle que vous voudrez, et même pour toutes deux, si toutes deux payent bien. Ayez encore quelques sous à me donner quand j’arriverai, car je vous porterai une troisième lettre, et j’aurai à changer de logement, ce qui ne m’amuse guère. Si vous en savez un qui n’ait aucun défaut, qui soit vaste, beau, situé en belle vue, en bon air, et qui ne coûte presque rien, indiquez-le-moi, et dites au propriétaire qu’il sera assez payé par les grâces de mon esprit, et le charme de mon regard ; les hommes d’aujourd’hui sont des butors, de demander toujours de l’argent à des gens comme nous.

………………………….

« Savez-vous que j’ai horriblement souffert de la misère ? J’en ai maigri, et pâti à la lettre.

« Adieu, mon ami, je viens de finir Jacques, et le soleil se lève. Je vais aller me promener sur les lagunes, et chanter une hymne à Buloz le grand, à Buloz le généreux, à

  1. Correspondance de G. Sand et d’A. de Musset.