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effrayante... etc. ; » puis, petit à petit, il aima sa douleur « avec tout son être et tout son génie, » son âme de poète glorifia Pagello, dont elle fit « un frère sublime, » à qui il avait donné, lui, Musset, sa maîtresse. Loin de l’apaiser, les lettres ardentes de son « Georgeot » attisaient en lui tous les feux d’autrefois.

Enfin, après une séparation de cinq mois, il revit George Sand, — et aussi Pagello, — car elle ramenait, hélas ! Pagello… et tout recommença. Le docteur dépaysé, refroidi, manifestement déplacé, dans un milieu où il se sentait mal à l’aise, le docteur « frère sublime » s’ennuya. Quoi de pire pour un amant ? — On le confia à Boucoiran, qui fut chargé de lui montrer les curiosités de la métropole, et Boucoiran l’amena à la Revue ! Je laisse la parole à Pagello.

« Boucoiran portait un gros paquet ; il le lui remit (à F. Buloz) : c’était le second volume de Jacques, écrit chez moi, à Venise. « Elle est donc arrivée ? dit Buloz. — Oui, répondit Boucoiran. — Depuis quand ? — Depuis deux jours. — Cette diablesse de femme me fait devenir fou ; voici un volume que j’attends depuis un mois ! Mais on m’a dit qu’elle s’était entortillée d’un nouvel amour, avec un comte italien. » Boucoiran sourit, et moi je rougis. Buloz demeura comme une statue ; pendant ce temps-là, je me détournai pour regarder quelques estampes qui ornaient la pièce, et Boucoiran dit quelques mots à l’oreille de Buloz ; après quoi, celui-ci, qui m’avait à peine remarqué, prit ses lunettes et, me regardant avec discrétion et courtoisie du seul œil qui lui restait, me fit les plus gracieuses questions, les offres les plus courtoises, et finit par me donner une carte avec laquelle je pouvais entrer en qualité de journaliste, dans quelque théâtre ou spectacle que ce fût. »

Voilà Pagello enchanté, trouvant que cette carte équivaut à une « nomination » de journaliste... Il est si satisfait qu’il prétend même, plus loin, que F. Buloz « lui a offert de travailler à sa Revue... Et ici je crois que Pagello exagère...

Donc, pendant que Pagello visite la capitale, George Sand et Musset se sont revus, quittés, enfin s’enfuient, lui à Bade amoureux comme un fou, elle à Nohant, amoureuse autant que lui. — A Nohant, Pagello la rejoint ; et de Bade, le pauvre Musset, ballotté par mille sentimens divers, essaie du voyage pour se distraire d’une peine qu’il emporte avec lui, — toutefois