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justice immanente, bien lente parfois à se mettre en mouvement. Il n’y manque qu’une dernière faveur de la fortune et nous avons la ferme conviction qu’elle l’accordera au tsar Ferdinand : c’est l’obligation pour l’Allemagne et l’Autriche d’accepter les conditions de l’Entente. Nous pensons bien qu’au fond de son cœur il n’en serait pas très marri. L’abandon par l’Allemagne de tout espoir d’hégémonie européenne le délivrerait d’une tutelle qu’il déteste et le débarrasserait de l’amitié impérieuse de Guillaume II.

Son calcul évident sera alors de conserver tous les fruits de sa perfidie envers l’Entente, de réaliser tous les gains qu’il détient grâce à l’aide militaire de ses complices, et de régner paisiblement sur les Balkans, de l’Albanie à l’embouchure du Danube. Lui seul sortirait de la guerre mondiale les mains pleines. Il doit se dire avec un mauvais sourire que ce ne serait pas chose facile de le débusquer de sa forteresse balkanique. L’Entente manque en effet d’un point d’appui pour l’attaquer et l’obliger à capituler, et c’est la puissance russe.

Il y aura sans doute d’autres moyens de forcer Ferdinand Ier à se soumettre aux volontés des Puissances qu’une expédition militaire et il ne sera pas besoin de recourir à cette ultima ratio pour le réduire à merci. Aussi bien aurait-il tort de ne pas se préoccuper du lendemain, ni du soin d’affermir sa popularité dans un pays que la prolongation de la guerre a épuisé. La Bulgarie sera lente à se remettre de son long et meurtrier effort, n’ayant pas de grandes richesses naturelles à exploiter ni d’industries productives à développer. Ce n’est pas chez les empires centraux qu’elle trouvera la continuation des subsides qui ne lui sont pas ménagés, tant qu’il s’agit de poursuivre la latte avec elles. La paix signée, leurs caisses lui resteront fermées. Le peuple bulgare, d’autre part, n’est pas devenu moins radical ni moins accessible aux idées socialistes. Si réfractaire qu’il ait été dans le passé à l’influence russe, lorsqu’elle était propagée par les agens d’un Tsar autocrate, peut-être à l’avenir serait-il moins résistant au souffle révolutionnaire qui lui arriverait, apporté par les vents violens du steppe. Ces vents déracineraient facilement une jeune dynastie, inhabile à rétablir en Bulgarie le bien-être et l’aisance.