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Quatre panneaux furent acquis pour le musée de Berlin ; deux autres demeurèrent à Bruxelles ; Munich se contenta d’une copie. On ne rendit à Gand que des lambeaux du chef-d’œuvre. Ainsi fut lacéré, au nom des « nationalités, » le plus précieux monument du génie de la Flandre.

Ces empiétemens de l’Allemagne auraient-ils jamais commencé, si la Flandre n’avait eu par hasard le dangereux honneur de parler un dialecte germanique ? Y a-t-il, en dehors de ce prétexte philologique, un lien de parenté quelconque entre l’esprit flamand et l’esprit allemand ? C’est ici justement que l’histoire de l’art peut être d’un grand secours. Et sans doute, au milieu du drame qui agite le monde, c’est un petit côté des choses que le point de vue de l’art : il offre cependant, pour qui sait voir, une manière assez sûre d’atteindre la vérité. La carte des langues ne saurait devenir une carte politique : l’histoire de l’art présente un ordre de faits beaucoup plus surs. Un peuple ne choisit pas sa langue : il fait son art à son image. Il le façonne selon ses goûts. Des trois livres où, Ruskin l’a dit, les peuples écrivent leurs mémoires, — leur histoire, leurs lettres, leur art, — ce dernier est le plus sincère et le plus véridique. C’est le seul qui ne les trahisse pas et où l’âme d’un peuple dépose ses trésors et ses profonds secrets.

Or, il se trouve qu’en dépit des prétentions allemandes, l’art flamand n’a guère eu de commun avec l’Allemagne que les innombrables emprunts que celle-ci lui a faits ; au contraire, c’est avec la France que l’unissent des rapports séculaires et ininterrompus. On n’a pas oublié les expositions de « Primitifs » qui eurent lieu un peu partout, il y a une quinzaine d’années, celle de Bruges en 1902, et, deux ans plus tard, celle du Pavillon de Marsan. On découvrit que la Renaissance n’était pas seulement un fait italien ; que le Nord de l’Europe, Dijon, Bruges et Paris, y avaient une part égale à celle de Florence. La France, la Flandre, y étaient intimement mêlées. Mais les rapports des deux écoles ne se sont pas bornés à l’époque des origines. Les échanges se poursuivent jusqu’à nos jours avec une régularité qui semble une condition de la nature de chacune d’elles. Il y a là une sorte de mariage, où il est difficile de dire lequel des deux époux a donné davantage. Peut-être ne sera-t-il pas inutile d’esquisser à grands traits l’histoire de ce fécond ménage. C’est le privilège de l’art, qu’il n’exprime