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Henri III, permet ainsi de faire passer en France trente charretées de plomb, qui seront employées à couvrir l’église de l’abbaye de Foucarmont, dans la Seine-Inférieure. Une autre fois, c’est la permission de transporter une cargaison de harengs, des boisseaux de blé, d’orge, d’avoine. En sens inverse, le même prince autorise Pierre Loy, de Caen, à transporter la pierre nécessaire pour la construction de Westminster Abbey. Des quêteurs, munis de passeports rédigés en latin, et que nous possédons, entreprenaient de grands voyages dans votre île. D’autres personnages allaient chercher des manuscrits que vous excelliez à orner. Tous ces titres prouvent que le mouvement était vif déjà à travers le détroit ; ils prouvent aussi que, s’il n’y avait point alors de sous-marins, la piraterie n’était point précisément inconnue, et qu’il n’était pas mauvais de se trouver sous la protection des hommes d’armes.

La Grande-Bretagne, généreuse déjà, et aumônière envers les grandes fondations religieuses du pays de France, envoyait aussi chez nous, comme je l’ai indiqué, des étudians et des maîtres. Déjà, du temps de Charlemagne, elle avait donné un de ses grands hommes à la France. Je veux parler d’Alcuin. L’empereur Charlemagne trouvait parmi ses Francs de merveilleux barons, hommes de guerre dont la tradition de dévouement et la manière de mourir n’ont point été oubliées, et ne furent égalées que dans le temps où nous sommes. Mais il cherchait à s’entourer aussi d’hommes savans, et il ne les trouvait point autour de lui en aussi grand nombre. Il regarda vers l’étranger, et s’aperçut que vous aviez parmi vous un personnage très précieux par son savoir et sa vertu. C’est Alcuin, qui avait été élevé à l’école d’York. En 782, il le fit venir, le garda près de lui, et un de nos historiens a pu dire que cet Anglais avait été « le précepteur du grand Charlemagne, de ses fils, de ses filles, de tout le palais. »

Si vous voulez avoir une idée de ce qu’il enseignait, soit à la cour, soit au dehors, voici les phrases, pleines de saveur, que nous trouvons dans une chronique du temps : « Aux uns il enseignait les règles de la grammaire ; sur les autres il faisait couler les flots de la rhétorique. Il formait ceux-ci aux luttes du barreau et ceux-là aux chants d’Aonie. Il expliquait encore l’harmonie du ciel, les pénibles éclipses du soleil et de la lune, les mouvemens violens de la mer, les tremblemens de terre,