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sommes ni lourds ni décolorés ! » Ce poêle a passé sa vie à rechercher les divertissemens et la gloire de l’action. C’est à cela que lui servira la politique, au temps de son ministère et de ses ambassades, puis au temps de son opposition systématique. Plus anciennement, il a sans cesse prétendu joindre aux diverses réussites de son art une prouesse. Quand il écrit le Génie du Christianisme, il veut être plus qu’un poète, un théologien ; plus qu’un théologien, mais un Père de l’Église : et Joubert le supplie en vain de ne pas rivaliser avec Bossuet, qui porte la mitre et la croix pectorale. Quand il écrit le Voyage en Amérique, il veut être un explorateur et un pionnier. C’est ce qu’il n’était pas et dont il se donne l’air en ajoutant à son incomparable poésie a tant de ressources étrangères, » les trouvailles souvent médiocres et enfin tout le fatras des Charleroix, Bartram, Carver et Gilbert Imlay.

Ainsi, M. Chinard s’est abusé, s’il a cru que l’examen des « sources » auxquelles Chateaubriand puise, et beaucoup trop, mérite le mépris et n’est qu’une taquinerie assez misérable. Un tel petit problème, assurément, ne va point à la méditation des choses éternelles : et, si ce n’était qu’un jeu plaisant, ne dénigrons pas nos plaisirs anodins. Mais encore, c’est en quelque sorte un problème moral : et, au sujet d’un écrivain qui eut tant d’influence et continue d’agir avec tant d’efficacité sur la pensée et sur la sensibilité contemporaines-, les problèmes de ce genre ne sont pas inopportuns. C’est aussi un problème de littérature et d’art : je ne vois aucune raison pour le refuser, pour le dénigrer.

Tout en le dénigrant, d’ailleurs, M. Chinard ne l’a point refusé ; même, il a procuré quelques argumens nouveaux, d’un vif intérêt. Mais une autre question, — voisine, au surplus, — le tentait, et qu’il a fort bien traitée : ce fut de savoir comment Chateaubriand vint à son idée des bons sauvages, à une philosophie de la nature innocente, à une poésie du vertueux désert. Il a consacré à cette recherche trois volumes qui sont une histoire littéraire de l’exotisme américain. Curieuse histoire, et toute pleine de révélations.

Elle commence dès la découverte de l’Amérique. Et, tout d’abord, on ne sait pas si les sauvages américains ne sont pas des animaux un peu plus intelligens que les singes ou bien des sages très surprenans. Certains voyageurs les dédaignent et ne leur pardonnent pas d’être dépourvus de sentimens religieux et de vètemens honnêtes. Leur nudité leur a valu des objections ; et le protestant Léry, un bon, homme très chimérique, distribuait des chemises aux