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autour de leur berger dans l’ardeur de l’après-midi, et l’ombre glissante du geai bleu sur la muraille embrasée.

Le jour où Yacoub et Mansour décida de transporter à Rabat le camp de ses guerriers, la solitude a pris possession de Chella. C’était déjà un lieu abandonné, quand les Sultans mérinides, qui succédèrent aux Almohades, séduits par le mystère et la vénération qui s’attache aux endroits où les hommes ont immémorialement vécu, choisirent cette colline pour en faire leur nécropole. Ils l’emplirent de leurs sépultures, relevèrent l’enceinte croulante, non plus pour protéger la vie, mais pour défendre des tombes. Et maintenant, ce qui demeure derrière ces hautes murailles, c’est la ruine de ces tombeaux, et comme la mort de la mort.

On entre dans cette cité funèbre par une porte de paradis, sur laquelle se déploie, avec une fantaisie charmante, toute la géométrie et la flore stylisée qui font sur les murailles d’Islam de si délicieux jardins. Rien de plus parfait à Grenade que ce chef-d’œuvre de pierre enchâssé dans ce collier barbare de terre et de cailloux. Ce sont les fils des guerriers, dont les Mehalla se formaient à l’abri de la vieille enceinte, qui ont bâti cette merveille. Ils rapportaient d’Espagne les traditions de cet art andalou si fort et si délicat, où toutes les influences se mêlent, comme jadis derrière ces murs vingt religions vivaient ensemble. On dirait même, à voir l’ogive de cette porte fleurie, que l’imagination musulmane s’est donné ici le plaisir d’imiter en liberté l’art glorieux de nos maçons, qui couvraient alors l’Europe d’églises et de châteaux flamboyans. Illusion, très probablement. Mais j’éprouve, à la regarder, un peu de l’allégresse que j’avais l’autre jour, en croyant reconnaître dans les jeux d’enfans arabes les cris des enfans de chez nous.

Une fois la voûte franchie, c’est de nouveau la désolation, la mort. Rien n’anime aujourd’hui la pente dénudée du coteau que le va-et-vient des petits ânes qui montent et descendent à la source, en faisant rouler sous leurs sabots la pierraille. Il y avait là, pourtant, une Medersa célèbre que les sultans mérinides avaient édifiée à grands frais pour honorer ce lieu sacré, et où, naguère, enseignait ce Sidi Ben Achir, dont le corps repose là-bas sur la dune de Salé, au milieu de sa couronne étrange de mendians, de malades et de fous. La terre n’a pas gardé plus de trace de l’Université fameuse que l’air n’a conservé