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Ces enfans intimidés, pleins de noblesse et d’élégance, gracieux comme le sont tous les enfans arabes, ces petits princes dans ce salon, cela semblait tout naturel, et c’était pourtant une chose qui bouleversait les traditions les plus anciennes. On surprenait là, sur le vif, la volonté du général d’humaniser la vieille caïda, de donner à ces enfans un haut sentiment d’eux-mêmes, et surtout de témoigner à tous, par les marques de respect dont nous les entourons, que ce régime de bon accord et de collaboration, qu’on appelle un protectorat, n’est pas un système éphémère, une étape à franchir avant d’installer ici des préfets, des conseillers généraux et aussi des députés, mais un ordre durable, et que l’œuvre commencée avec le père sera continuée par les fils.

Cependant, sur les tables, les pâtisseries et les breuvages diminuaient à vue d’œil ; le soleil n’éclairait plus que le faîte de la muraille rouge ; les jardiniers avaient ouvert les canaux de la séguia qui bruissait doucement ; dans l’odeur de la terre humide, on sentait des parfums de menthe et de persil ; derrière les barreaux fraîchement peints d’une de ces ménageries, ornemens habituels des résidences chérifiennes, trois lions, énervés par le soir, allaient et venaient bruyamment, en agitant leurs nobles têtes comiquement tachées de vert. Les musiciens inlassables poursuivaient leur musique, acharnés, semblait-il, à la poursuite d’un air qui leur échappait toujours…

Il est six heures. Le carton de bristol a épuisé son pouvoir. Avec les autres invités, je regagne la porte du palais et le grand aguedal vide. Est-ce la mélancolie des belles fins de journée et d’une fête qui s’achève ? Je ressens un vague malaise d’avoir promené dans ce palais une banale curiosité de passant. Quelle figure devais-je faire sur cette terrasse de Sultan ? Quel soupir ont dû pousser les choses, en nous voyant disparaître ! Qu’ai-je vu ? Que m’a-t-on montré ? La vraie vie de ce château d’Islam ne me demeure-t-elle pas toujours aussi fermée qu’avant d’en avoir franchi la porte ? Ce que j’ai vu, valait-il toutes les fantaisies que l’imagination se crée autour des Mille et une Nuits ?… Je regrette presque d’être venu, d’avoir fait le mauvais marché d’échanger beaucoup de rêves pour quelques pauvres notions ; et en même temps un nouveau désir me saisit de revenir sur mes pas, de repasser dans les couloirs tortueux, de revoir la terrasse animée par sa vie de tous les jours, et le