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classiques ; M. Pakitch celui de nos parnassiens. M. Patrovich, M. Ducic, se révélaient ardens admirateurs de Baudelaire et de Verlaine, tandis que M. Doukitch, délicat poète philosophique, né dans cette Herzégovine qui est l’A)sace-Lorraine de la Serbie, marchait sur les traces jamais effacées de notre noble Sully Prudhomme.

Mais celui qui, après s’être le mieux assimilé l’esprit de la poésie française, reflète aujourd’hui avec le plus d’éclat dans son œuvre, l’âme aux multiples facettes de son peuple, n’est-ce pas ce jeune Miloutine Boïtch qui vient de mourir à Salonique, après avoir manifesté, dans les vingt-quatre années de sa courte existence, l’indomptable valeur militaire de sa race, un inextinguible amour du beau, une haute culture, et tous les raffinemens de l’intelligence ?


La vie de Boïtch ? Elle peut tenir en peu de mots. C’est, vers ses dix-huit ans, l’élan panthéiste d’une adolescence assoiffée de joie et de ferveur, de poésie et de gloire. Devant les yeux de Miloutine, la vie dansait les danses voluptueuses que Salomé dansait devant Hérode, et le désir du jeune homme se jetait, avec la même ardeur, vers tous les plaisirs et vers toutes les peines auxquels elle le conviait :

« Au même instant, je souhaite mille choses contradictoires. Je voudrais me mêler au monde et cependant m’abriter dans la solitude… Je voudrais me trouver dangereusement aux prises avec le Destin ; pourtant, en le voyant venir à moi, je tombe anéanti. Je voudrais composer les mélodies les plus hardies de la matière, et aussi exhaler les hymnes les plus chastes du ciel enflammé par le mystique couchant… Je rêve de chanter le chant délicat des bouleaux qui gémissent, et le chant déchirant du vent qui siffle à travers les roseaux murmurans… Ma jeunesse demande à jaillir hors de mon âme, et, pour chasser de mon cœur cette douleur sans douleur, — j’appelle, j’implore la souffrance. »

Puis c’est le cri de la passion d’amour : « folle, chaude et dangereuse ; » celle dont le baiser « épuise les forces des profondeurs de l’âme, » et, sous l’influence de laquelle « on donnerait tout l’avenir pour.une minute présente d’éphémère joie. » Qu’importe au poète le juste ou l’injuste ? Sa religion