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MILOUTINE BOÏTCH.

Fort de cette sagesse-là, ce « défaitiste » d’antan devait abandonner aux hordes barbares des Turcs d’Asie, non seulement la magnifique capitale médiévale de l’Orient chrétien, mais encore la plus grande partie de cette vaste Serbie du XIVe siècle qu’avait gouvernée le tsar Douchan.

Aujourd’hui, comme alors, les Serbes laisseraient-ils la précieuse proie tomber aux mains des incivilisables barbares ? La terre toute petite à présent et d’autant plus chère de la patrie serait-elle livrée ? Non. La Serbie arme son cœur et son bras pour la victoire. Les hommes valides sortent des demeures, quittent le repos vil ; les cités sont désertées. Les âmes hautes se parent de beauté ; les fronts purs s’illuminent de noblesse. Et voici : le ciel natal s’étend comme un ferme regard sur la nation serbe ; les oliviers semblent des femmes, aux vêtemens sombres, agenouillées en prière sur les âpres collines ; les harmonies des fleuves, des monts, des champs accompagnent tout un peuple courant à son destin, s’élançant vers la mort, sans jeter un regard en arrière. Les bataillons se suivent, canons aux gueules d’acier encore muettes, chevaux piaffans, drapeaux flottans. Le soleil rayonne sur les jeunes fronts, réchauffe les jeunes poitrines, fulgure sur les armes fourbies. Partout, au passage, les épouses courageuses aux yeux fiévreux, les mères intrépides aux anxieux visages, acclament les batteries slaves.

Le premier coup de canon a grondé ; le tonnerre a répondu au tonnerre ; la dure phalange s’est jetée au combat ; les actes sublimes éclatent. L’assaut de l’ennemi colossal a été reçu. Le sol est rasé ; les jeunes corps gisent ; hissé encore sur une aiguille de roche, le drapeau pend en loques sacrées. Mais la volonté se fortifie dans la douleur ; l’ardeur la plus grande sort des plus grands maux ; les survivans se rallient d’une seule voix, ils crient vengeance : « Lutter jusqu’à la Victoire ! Ô Victoire ! Nous ne voulons plus que toi ! Nous n’aimons plus que toi, ô Victoire ! »

Hélas ! Cette victoire, blanche Vila tant invoquée par la voix des Serbes, ne devait poser qu’une heure, sur le gonfalon de ses fidèles, ses ailes frémissantes. Après le prodigieux combat de Kolubura, alors que les héros, aux noms jusque-là obscurs, eussent dû être soudain couronnés du laurier marié