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si Hippolyte est digne d’Aricie… et si même Pollux rendra Castor à la lumière, lorsqu’il est à la fois son frère et son rival[1]. » Mais pardon, tout cela nous importe beaucoup à nous, auditeurs de la tragédie musicale. C’est même ce qui nous importe le plus et ce qu’avant tout nous demandons à la musique de nous faire savoir.

Si nous ne le savons guère, si nous le sentons encore moins, la faute en pourrait bien être d’abord et surtout au récitatif de Rameau. Dans un ouvrage récent et considérable à plus d’un égard, M. Pierre Lasserre s’étonne qu’on ait critiqué les récitatifs de Rameau, qu’on leur ait « reproché leur sécheresse, leur froideur, leur tour formaliste et guindé, leur monotonie[2]. » Ils nous semblent, à nous, mériter tous ces reproches. « La vérité, » poursuit leur avocat, « la vérité, c’est qu’en cette partie si difficile, si délicate, de l’art dramatique musical, il a créé (Rameau) d’immortels modèles de force expressive. Le type du récitatif, tel qu’il l’a conçu et souvent réalisé, est quelque chose d’admirable… Chez les Italiens, depuis Pergolèse, chez Gluck, chez Mozart, chez Rossini, chez les Français de la première moitié du XIXe siècle, le récitatif se présente comme partie sacrifiée ; on s’en sert dans les passages dramatiques tempérés, auxquels ne conviennent pas l’élan et l’expression lyrique ; et l’on admet que ce qui sied en ces endroits… c’est une déclamation chantée, une mélopée plus ou moins accentuée dans ses contours et accompagnée par quelques accords dont le but sera plutôt- de soutenir la voix que de contribuer réellement à l’expression. »

Le récitatif est-il vraiment cela, n’est-il que cela, chez les maîtres que l’on nous cite ? Chez Rossini lui-même, chez le Rossini de Guillaume Tell, il est souvent bien davantage. Et chez Mozart ! Passe encore pour son recitativo secco. Mais l’autre, le récitatif accompagné, commenté par l’orchestre, qui tantôt le soutient et tantôt l’entrecoupe ! Quel récitatif de Rameau pourrait faire oublier les plaintes, les sanglots de Donna Anna sur le cadavre du Commandeur, ou la narration précipitée, haletante, qu’elle fait à don Ottavio, de la nuit pour elle doublement terrible ! Surtout qu’on se rappelle Gluck, le maître souverain du récitatif, d’un récitatif éloquent deux fois, par deux vertus égales et fraternelles, que nous appellerions volontiers, vous priant seulement d’excuser l’un et l’autre barbarisme, la musicalité

  1. Rameau, par M. Louis Laloy ; 1 vol. chez Alcan (Collection des Maîtres de la musique).
  2. L’Esprit de la musique française, par M. Pierre Lasserre ; Paris, Librairie Payot et Cie.