Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/469

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

système harmonique, obstinément appliqué, s’il donne à la musique de Rameau sa droiture et sa vigueur, en fait souvent la rigueur et la dureté. Sans compter qu’une autre cause, non plus tonale, mais rythmique, contribue encore à la raidir : c’est l’usage presque incessant des valeurs pointées. Il s’en faut de peu que celles-ci, par leur accompagnement saccadé, ne nous gâtent jusqu’à l’air, délicieux par ailleurs, de Castor errant sous les bosquets élyséens : « Séjour de l’éternelle paix. » Mais ici, la grâce de la mélodie est la plus forte. Elle l’est dès le premier mot, dès la première note : une note haute, qui, cette fois encore, n’est autre que la tonique supérieure de l’accord parfait. Doucement posée et tenue longuement, durant toute une mesure lente, elle suffit à nous donner, par sa durée et par sa douceur, l’impression du repos et d’un repos sans fin.

Ici pourtant, les souvenirs de Gluck nous poursuivent, nous dominent encore. Les Champs-Elysées véritables, véritablement divins, sont les siens. La rencontre verbale de Pollux et de Castor parait pâle et froide auprès de la rencontre silencieuse, et belle de ce silence même, d’Orphée et d’Eurydice. Et surtout, devant ce revoir, en pourrait-on oublier un autre, fraternel aussi, mais autrement tendre et touchant, par où s’achève le dernier acte d’Iphigénie en Tauride ! Ainsi « toujours lui, lui partout. » Écartons-le cependant, ce Gluck inséparable de pareils sujets, pour admirer chez son grand devancier, après « les endroits forts, » comme disait le président de Brosses, quelques passages dont la beauté, contraire et rare, est faite de douceur et presque de charmante faiblesse. Telle est la scène où Pollux, qui ne respirait que la délivrance de son frère, au prix même de son amour et de sa vie, hésite et s’arrête un moment, rappelé, retenu par les Grâces et les Plaisirs. La musique ici, toute la musique, de chant et de danse, est infiniment séduisante. Elle l’est à la manière française, c’est-à-dire avec poésie, mais avec précision et netteté, c’est-à-dire encore tout autrement que la musique, plus vaporeuse et plus floue, de la scène, analogue par le sujet, de Parsifal et des Filles-Fleurs. Certaines répliques de Pollux, mélodiques autant que déclamées, joignent au ton de l’héroïsme des accens, qui nous émeuvent davantage, de mélancolie, de regret, et, nous l’observions tout à l’heure, de faiblesse. Un autre héros, mais réel et vivant celui-là, beaucoup plus qu’un héros, un grand saint, a connu cet arrachement intérieur, ces troubles et ces combats. On sait comme il les a confessés : « J’étais retenu par les frivoles plaisirs et les folles vanités, mes anciennes amies, qui secouaient en quelque sorte les vêtemens de ma