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la direction d’un homme d’État qui a fait de la Mandchourie sa spécialité, l’exciter à donner plus que ce minimum.

A l’extérieur donc, c’est-à-dire entre les nations de l’Entente, de nation à nation dans l’Entente, harmonie parfaite. L’union aboutissant à l’unité et s’exprimant à l’unisson. Par quelle aberration, par quel coup de folie, au sein de la nation même qui porte plus que toute autre le fardeau de la guerre, une faction «présomptueuse et turbulente a-t-elle failli, en un geste impie, déchirer le pacte sacré? L’idée qui était venue aux socialistes de célébrer publiquement le centenaire de la naissance de Karl Marx, discutable en tout autre temps, devenait, dans les circonstances où nous sommes, une pensée criminelle. Ce n’est pas au parti socialiste qu’il est nécessaire de rappeler que les Allemands sont à Noyon. Il en tire assez fréquemment argument pour ses polémiques. S’il eût persévéré dans le projet auquel il s’était rallié d’enthousiasme, nul doute que le gouvernement, sous la main énergique de M. Clemenceau, n’aurait connu et accompli son devoir. Mais il n’en sera pas besoin. Le sentiment national a réagi spontanément avec une si grande force, que le parti lui-même a senti le scandale d’une commémoration trop solennelle. La cérémonie se bornera à la lecture dans les sections d’un manifeste dont la rédaction a été confiée à la piété filiale de M. Jean Longuet et à l’atticisme de M. Bracke. Ainsi Marx ne sera pas fêté par les socialistes dans leur temple, mais il sera recommandé dans leurs sacristies. Leur excuse, c’est que, pour la plupart, ils ont la foi du charbonnier. Karl Marx est ce qu’on peut appeler un auteur difficile ; quatre-vingt-dix-neuf adhérens du parti sur cent sont incapables de le lire, et le centième n’est pas sûr de l’avoir compris. Il y a notamment un troisième volume de ses Œuvres qui est un affreux casse-tête! Mais c’est le moins qu’on ait à lui reprocher.

Quand Marx n’aurait été qu’un Allemand illustre, l’heure serait singulièrement choisie, pour des Français, de lui élever un autel dans la France souillée et meurtrie par ses compatriotes. Pour son malheur et le nôtre, il a été plus : ce théoricien de l’Internationale a été le serviteur conscient ou inconscient de l’impérialisme germanique. Non pas de l’impérialisme prussien, comme on l’a écrit quelquefois à tort, mais tout de même d’une espèce d’impérialisme germanique. Né à Trêves, d’une famille qui n’était allemande que par immigration, pour se faire pardonner de n’être qu’un demi-Allemand, il s’est fait Allemand et demi. Il a vécu dans la haine, ou, ce qui est pis, dans un mépris transcendant de la France, que cet