Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/524

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fortune engendrèrent ce besoin de liberté qui plus tard travailla l’Europe. Aussi la constance de leurs idées et la ténacité que l’éducation donne aux Flamands en firent-elles autrefois des hommes redoutables dans la défense de leurs droits[1]. » Ces lignes sont d’un romancier qui avait l’étoffe d’un grand historien ; elles sont de Balzac. Les archives d’Ypres, conservées dans les célèbres Halles, déroulaient en leurs liasses émouvantes l’épopée d’une ville libre : un jour l’Allemand jugea qu’il y avait là de mauvais exemples pour la conscience des peuples, et, lorsqu’il eut passé là, Verhaeren chanta douloureusement :

Ce que la ville avait conquis obstinément
Au cours des temps,
Et sa croyance triomphale,
En ses chartes, et ses décrets, et ses annales,

Tout fut brûlé[2] !


Il advint souvent que ces villes flamandes péchèrent par égoïsme, captives d’un esprit de monopole qui volontiers autour d’elles se faisait oppresseur, et qui parfois les armait les unes contre les autres ; et par-dessus l’esprit collectif prévalaient peu à peu des égoïsmes de classes, qui fomentaient des luttes civiles, chaotiques épisodes d’une vie cahotée, secouée par d’imprévus soubresauts, et sur laquelle Etienne Marcel, et les Maillotins de Paris, et les tisserands de Cologne arrêtaient de loin leurs regards avec une attention de disciples. Dans les villes de Flandre, — les trois membres de Flandre, ainsi qu’on les nommait, — l’opinion populaire avait sans cesse la fièvre ; mais avoir la fièvre, c’est encore une façon de vivre.

Ainsi mûrissait, un peu partout en Belgique, une éducation politique indigène, dont plus tard l’unité belge profitera. Les gouvernants pouvaient venir du dehors, maison de Bavière, maison de Bourgogne, maison de Luxembourg ; il n’y avait que demi-mal : le « sens du pays » faisait contrepoids. Les États de Brabant ratifièrent solennellement, au début du XVe siècle, le testament de la duchesse Jeanne, qui installait

  1. Balzac, la Recherche de l’absolu, p. 5.
  2. Kervyn de Lettenhove, la Guerre et les œuvres d’art en Belgique, p. 151 (Paris, Van Oest, 1917).