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longue léthargie, le Japon avait retrouvé le souvenir cuisant de ses anciennes expéditions manquées et son désir de revanche. Ce qu’il n’avait pu faire pendant des siècles, quarante ans d’européanisme lui ont permis de l’accomplir. Le 29 août 1910, les Coréens lurent, les larmes aux yeux, affichées sur leurs murs, l’abdication de leur dernier souverain qui remettait son pays entre les mains de l’empereur du Japon et la proclamation du général Terauchi qui déclarait que désormais les deux peuples seraient frères et que son gouvernement assurerait des retraites aux vieux lettrés et des récompenses aux fils pieux et aux femmes vertueuses… Le spectacle de la Corée est peut-être un des plus hétéroclites du monde ; mais c’est un de ceux où se manifestent le mieux la force romaine du Japon et le rôle dont sa civilisation rajeunie s’est emparé en Extrême-Orient. La Corée fut jadis son éducatrice. Il est en train de lui rendre ses bienfaits.

Les Coréens vous affirment gravement, — car ils n’ont pas le sourire, — qu’on ne sait au Japon ni se loger, ni se vêtir, ni manger. Là-dessus, ils habitent des taudis enfumés ; ils s’habillent en dépit du bon sens ; et ils mangent du chien avec voracité. On se demande tout d’abord quelle sorte d’éducation ils ont bien pu donner aux Japonais ! Je ne connais rien de plus pitoyable qu’une ville coréenne comme Taïku. Ce n’est qu’un ramassis de huttes dont les toits en paille, rarement en tuiles, dépassent à peine le mur de leur enclos. Il y en a de si étroites et de si délabrées qu’elles vous font penser à celle du roman coréen où, la nuit, les pieds de son propriétaire sortaient dans la cour pendant que sa tête prenait le frais dans le jardin. La fumée de la cuisine se répand par des tuyaux sous leur plancher qu’elle traverse et qu’elle enduit d’une patine noire. L’hiver, elle asphyxie les Coréens ; et, dès le mois de juin, elle les force de coucher dehors. Dans la cour, de grandes jarres de terre brune représentent la richesse de la famille en légumes et en riz. Mais on me dit que, de temps immémorial, les Coréens se sont imposé par prudence toutes les apparences de la pauvreté. Leurs collecteurs d’impôts montaient sur une hauteur et notaient les maisons qui s’élevaient un peu plus haut que les autres. Malheur aux propriétaires ! Ils n’avaient qu’à se laisser saigner, sous peine de voir ces mandarins déterrer dans leur passé ou dans celui de leurs ancêtres un délit ou un