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nommé Miura, n’avait été assez maladroit pour compromettre dans ce mauvais coup l’uniforme de son pays.

La nuit du 7 au 8 octobre, la Reine s’était promenée dans ses jardins et avait longuement contemplé la lune. Comme le jour se levait et comme elle se disposait à rentrer, une fusillade éclata à la porte du Palais. Aussitôt elle changea de vêtements ; elle enleva son manteau rouge et sa couronne de perles dont la plus grosse luisait sur son front, et, en femme qui avait tout prévu, elle se lava la figure, car elle était la seule à la Cour qui eût le droit de se farder. Ainsi déguisée en simple fille du Palais, elle se réfugia dans un débarras avec quelques-unes de ses suivantes et la princesse royale. Les meurtriers, Japonais et Coréens, couraient d’un pavillon à l’autre, le nez haut, comme des chiens en quête. Ils ne l’auraient point trouvée, si cette ennemie du Japon ne s’était prise d’affection pour les deux petites filles d’un Japonais marié à une Coréenne. Ces deux petites métisses, qui avaient grandi au Palais, en connaissaient toutes les caches. Elles indiquèrent la porte derrière laquelle les pauvres femmes retenaient leur souffle. Ils la forcèrent. L’un d’eux saisit la princesse, la porta dans une autre pièce, l’y déposa et lui dit : « Je vous prie de nous excuser. » Elle entendit à ce moment la Reine crier qu’elle n’était pas la Reine, et n’entendit plus rien qu’un cri de terreur. Tel est le récit que m’a fait un Coréen, dont j’ai tout lieu de croire qu’en dehors des acteurs ou des témoins du drame, nul n’est mieux renseigné.

La mort de la Reine précipita l’agonie du royaume. Cette agonie avait commencé vingt ans auparavant, du jour où la Corée dut renouer avec le Japon et, par crainte du Japon, s’ouvrir aux Européens. L’antique royaume, qui se flattait de compter trois mille ans d’existence, ne pouvait survivre à cet afflux de vie nouvelle. Et, si longtemps immobilisé dans son orgueil, il ne retrouva le mouvement que pour se déchirer lui-même. Ses ministres le grugent et le trahissent. Les révolutions de palais et les émeutes l’ensanglantent. La Russie et le Japon se le disputent. Le Roi n’avait qu’une idée, celle de ne pas mourir, et, pour ne pas mourir, il achetait des maisons et faisait construire. Les sorciers lui avaient découvert, magiquement parlant, une figure de ver à soie. Et comme le ver à soie cesse de vivre en même temps que de filer, il était persuadé que, tant qu’il bâtirait, il n’aurait point à craindre la mort. Le