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les incendier. Or, les jours précédents, la police coréenne avait eu à se plaindre des marins de la Légation. Le ministre furieux appela le commandant : « Vous avez encore, lui dit-il, un homme qui a fait des siennes la nuit dernière. Il a mis le feu à la maison des Anglicans. Je voudrais savoir, Monsieur, quand ces scandales cesseront ? » Le commandant fait sonner le branle-bas. Les cent cinquante marins du détachement comparaissent. On les compte ; on les recompte. Ils étaient tous là. On en dépêche quatre pour s’assurer de l’individu, lis trouvèrent Birukoff toujours avec ses bottes, en train d’ouvrir les yeux à la lumière. Ils l’amenèrent devant le ministre : « Qui êtes-vous ? » — « Je suis le professeur de russe au service de Sa Majesté l’Empereur de Corée. » Ce fut ainsi que l’enseignement de la langue russe entra dans Séoul.

Mais bien des choses y entrèrent ou en sortirent qui étaient moins drôles. J’ai eu entre les mains le journal manuscrit de Mgr Mutel, un des témoins que ses fonctions, son dévouement aux âmes, son expérience de la langue et son intelligence des mœurs ont le plus mêlé à cette période de l’histoire coréenne. Il n’y a pas d’histoire plus lamentable. Trahisons, assassinats, complots, insurrections, un pillage effréné, une curée dont les Coréens eux-mêmes ont donné le signal ; aucun patriotisme dans cette nation moribonde, que les nations étrangères regardent mourir et dont elles tâchent de capter les dernières volontés. Les Russes victorieux n’eussent fait qu’ajouter à son anarchie. Leur défaite la livra définitivement aux Japonais. En 1905, ils imposaient leur protectorat. L’Empereur eut alors une inspiration, mais qui ne lui venait pas de ses sorciers : il s’adressa au Tribunal de la Haye. Le prince Ito et le général Hasegawa se chargèrent de la réponse. Le soir du 19 juillet 1907, ils se présentèrent au palais et, appuyés par les ministres coréens, ils le forcèrent d’abdiquer en faveur de son pauvre fils, le joueur de billard. Le 31 juillet, ses soldats furent désarmés et reçurent chacun cent yen. Mais une des six casernes de Séoul résista ; et trois ou quatre cents braves se firent massacrer pour l’honneur de leur pays. Trois ans plus tard, et sans qu’on eût besoin d’insister, le nouveau souverain résignait ses pouvoirs à l’empereur du Japon.