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demeures où, pendant des siècles, habitèrent leurs princes et leurs administrations, et dont il leur suffisait de modifier les dispositions intérieures. Ils tiennent par-dessus tout à imposer aux Coréens l’idée qu’ils représentent la civilisation européenne et qu’ils savent faire tout ce que font les Européens.

La ville japonaise l’est entièrement. Sauf les maisons samuraïques, on y retrouve les mêmes lacis de ruelles, les mêmes étalages, les mêmes boutiques d’antiquités, les mêmes vendeurs de journaux qui courent avec leur trousseau de sonnettes à la ceinture, les mêmes marchands de rafraîchissements et râpeurs de glace, les mêmes temples populaires, les mêmes maisons de thé. Ah ! ces maisons de thé, ces chaya ! Elles se sont déjà posées partout où il y a une curiosité, devant la petite pagode en marbre de Nanking à treize étages et devant la tortue de bronze que viennent caresser les femmes stériles, et sur les pentes de la montagne des sorcières : Elles s’égrènent le long de la route qui mène au tombeau de la Reine. Je crois que, si le gouvernement n’y avait mis bon ordre, elles auraient dressé leurs petits tréteaux jusqu’au pied du tertre funéraire.

Jamais les Japonais ne m’avaient paru plus actifs qu’au milieu de l’apathie coréenne. Le soir, cette activité a quelque chose de fantastique. Jadis, avant le protectorat, l’énorme cloche, qu’on voit au centre de la ville dans une cage de bois, sonnait le couvre-feu à sept heures en hiver et à neuf heures en été. Tous les hommes rentraient chez eux. Personne n’avait le droit de sortir, sauf les devins aveugles, et les femmes qui peuvent circuler dans les ténèbres parce qu’elles sont des êtres sans conséquence. On n’entendait plus alors, dans les villes et les villages coréens, que le roulement précipité des bâtons dont les repasseuses battent le linge sur les pierres. « C’était l’heure, disait une chanson coréenne, où résonnent les quarante mille pierres des quarante mille maisons. » Ce bruit, qui remplissait la nuit, n’empêchait pas les gens de dormir. On finissait par ne pas plus l’entendre qu’on n’entend le concert ininterrompu des cigales et des grenouilles. La grosse cloche s’est tue ; mais les rues coréennes n’en sont pas moins désertes et noires. Les rues japonaises, au contraire, s’illuminent et bourdonnent d’une foule affairée. Des rangées de lanternes éclairent les balcons de bois. Les promeneurs feuillettent