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Aussitôt frappé, « Jean se retient à une branche d’arbre, regarde une dernière fois la forêt qui brûle et murmure : « Adieu, petit Jean ! »

Plus qu’un drame social, plus qu’une pièce à idées, le Repas du lion est une tragédie psychologique. Est-ce le rétrécir, le diminuer que l’interpréter ainsi ? Non, s’il est vrai qu’avare de conclusions, M. de Curel est riche de suggestions. En tout cas, c’est le seul moyen, semble-t-il, d’expliquer cette insuffisance ou cette incertitude de doctrine qu’on lui a si souvent reprochée. Ni dans la Nouvelle Idole, ni dans le Repas du lion, par exemple, M. de Curel ne prend parti, parce qu’il n’a pas à le faire. Ce qu’il nous apporte, ce n’est pas une solution de la question religieuse ou de la question sociale. Il étudie l’attitude de certaines âmes devant les problèmes qui conditionnent leur existence intellectuelle et morale ; et parce que, il y a vingt ou trente ans, des milliers d’hommes partagés entre des traditions qu’ils sentaient vénérables, et des nouveautés qu’ils jugeaient nécessaires, n’ont pas su se prononcer, ont souffert de leur hésitation et peut être sont morts de leur impuissance à croire comme à nier, M. de Curel a peint la contradiction de leur âme et leur incertitude devant leur devoir terrestre comme devant leur destinée future. par-là s’expliquent l’attitude d’Albert Donnat (Nouvelle Idole), celle de Jean de Sancy (Repas du lion), celle de Robert de Chantemelle (les Fossiles). Celui-ci ne dit-il pas de lui-même : « Le présentée prend par le cerveau, le passé garde mon cœur ? »

Que cet aveu, en même temps qu’à mille autres, puisse s’appliquer à l’auteur lui-même, je le croirais volontiers. Mais cela même confirmerait mon opinion : M. de Curel ne défend pas ou ne combat pas des idées pour elles-mêmes ; il étudie leurs réactions sur des esprits généreux, mais désemparés, dont le propre est de ne pouvoir adhérer à aucune certitude. par-là, son œuvre, moins philosophique que psychologique, manque sans doute d’autorité doctrinale ; mais l’intérêt psychologique en est doublé : dans ses pièces purement sentimentales ou passionnelles, il fait, pour ainsi dire de la psychologie pure ; dans les pièces prétendues idéologiques, il fait la psychologie d’une génération.

D’ailleurs, seuls deux ou trois héros de M. de Curel sont ainsi représentatifs de leur époque, et il nous reste à voir quels