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l’abominable abus de confiance commis envers lui par son père, il n’a pas un reproche, pas une plainte ; il se tue discrètement, en gentilhomme, et son holocauste à sa race est d’une grandiose simplicité.

On voit, dès lors, pourquoi, sauf exception, les héros de M. de Curel sont plus sympathiques que ses héroïnes. Leurs passions, non moins violentes, non moins criminelles parfois, ont quelque chose de moins strictement égoïste, de moins exclusivement destructeur. En particulier, elles ne suppriment pas chez eux la tendresse.

Sans parler de Robert de Chantemelle, qui est une âme exquise, ni même de Jean de Sancy, que son imprudent héroïsme soustrait aux influences féminines, Albert Donnat est capable, malgré tout, de cette bonté qu’ignorent Julie Renaudin, Gabrielle, Régine et Françoise de Renneval. Il est capable surtout de reconnaître une erreur, de solliciter un pardon et ne croit pas se déshonorer en laissant couler ses larmes : « Tous les mêmes, dit-il ; Maurice, moi, des gens qui contemplent de haut l’humble humanité, nous ne voyons pas ce qu’un enfant verrait… Notre œil est adapté aux choses lointaines, et ce qui frémit tout près du cœur, ce qui sanglote à l’oreille, un mur nous on sépare… Pourtant nous ne sommes pas à l’abri du chagrin. Nous avons besoin d’une poitrine contre laquelle pleurer ! Il n’est plus question d’orgueil entre nous, n’est-ce pas ? » (Nouvelle Idole.) Michel Prinson lui-même, ce forçat qui nie tout et blasphème famille, drapeau, patrie, Michel Prinson ne peut garder jusqu’au bout le masque d’impassibilité qui l’étouffe. Son besoin de tendresse fait plier son orgueil. Il s’abaisse à pleurer, à prier : « Au fond, je ne suis qu’un exilé guettant une fissure pour rentrer dans l’humanité, pareil à un chien perdu qui rôde autour des chaumières et vient, la nuit, gratter aux portes des étables. » (Le Coup d’aile.) Quelques instants plus tard, il est vrai, sa tendresse se fait impérieuse, brutale. Mais voudrait-on que le fauve devint tout d’un coup un agneau à rubans roses ? Ne voit-on pas surtout que pour cette âme orgueilleuse, à jamais en deuil de la gloire, c’est l’effort suprême et violent vers la seule consolation qui lui reste : la tendresse de son enfant retrouvée ?

Ainsi chez les plus orgueilleux, les plus durs, les plus criminels, la tendresse reprend finalement ses droits. Une