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science ne sont plus seuls discutés. Ce qui est en question, c’est la destinée même de l’humanité. Mais, par un prestige de l’art, le problème ne se pose pas en termes abstraits. Pour Donnat, le temps est passé des spéculations désintéressées, ou du scepticisme provisoire. Cet émule de Pasteur, universellement connu et admiré, ne peut échapper à la mort. Et cette mort prématurée, à laquelle il ne pensait pas hier et qui s’impose maintenant à lui comme un châtiment nécessaire, va lui ravir, avec la gloire et le bonheur, la possibilité d’achever les travaux dont il attendait un immense bienfait pour l’humanité tout entière. Mais là n’est pas son pire tourment. Lui qui, pour avoir tant vu mourir, narguait ou dédaignait la mort, refuse de sombrer à son tour dans l’incompréhensible et monstrueux néant. Vainement au suicide banal il substitue le suicide scientifique, qui lui permettra de prolonger jusqu’à la dernière minute son œuvre bienfaisante. La beauté de cette fin ne le console pas. Au contraire, à la grandeur de son sacrifice il exige plus que jamais que réponde la grandeur, la béatitude d’une vie nouvelle, libérée de l’erreur et de la mort : « Si la nature a mis chez l’homme un pareil instinct de vérité pour que la vérité suprême ne doive jamais luire à ses yeux, eh bien ! c’est une lâcheté de la nature… » (Nouvelle Idole.)

Peut-être sa science orgueilleuse le réduirait-elle à celle douloureuse et impuissante protestation, s’il ne rencontrait une enfant que ne troublent guère les problèmes métaphysiques, et pour qui, cependant, la vie et la mort sont, grâce à Jésus, sans mystère. Il découvre alors ce que Pascal appelait déjà l’ordre du cœur ; — et non seulement du cœur faculté de connaissance : « J’ai une imagination, j’ai un cœur, mon être est relié au monde par toute une trame frissonnante qui peut me renseigner mieux que ma raison… » (Ibid.) mais du cœur conseiller de sacrifice et maître de vie : « La loi du plus fort régit les corps, soit ; mais les esprits ?… Le plus grand symbole qui ait pu s’imposer à eux, n’est-ce pas un instrument de torture : la croix ? Quelle est donc la puissance assez forte pour que les yeux du monde entier soient fixés sur elle dans un désir d’immolation ? Toute marée dénonce au-delà des nuages un astre vainqueur ; l’incessante marée des âmes est-elle seule à palpiter vers un ciel vide ? » (Ibid.) Il se refuse, il est vrai, à entrer franchement dans cet ordre de la charité qui